Manifestation contre la réautorisation du glyphosate, à Bruxelles le 25 octobre. / JOHN THYS / AFP

Editorial du « Monde ». Faut-il prolonger ou interdire l’usage du glyphosate, plus connu sous le nom de Roundup ? Depuis deux ans, les gouvernements européens tergiversent. Car, depuis mars 2015, l’herbicide le plus vendu dans le monde est aussi classifié « cancérogène probable » pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Cette agence des Nations unies est arrivée à cette conclusion sur la base du travail mené pendant un an par un groupe d’experts indépendants.

Jusqu’à mercredi 25 octobre, pourtant, il n’était question, pour la Commission européenne et la plupart des Etats membres de l’UE, que de renouveler pour dix ans l’homologation du « best-seller » du groupe américain Monsanto. En d’autres termes : de prendre la décision de continuer à exposer leurs concitoyens, les agriculteurs en premier lieu, à un pesticide jugé probablement cancérogène par l’agence scientifique internationale de référence.

Palinodies

Même si l’on évoque désormais une durée moindre – cinq à sept ans pour la Commission européenne, trois à quatre ans pour le gouvernement français –, même si la question d’une interdiction à moyen terme n’est plus taboue, la licence du glyphosate expire le 15 décembre et il reste peu de temps pour se mettre d’accord. Comment l’Europe en est-elle arrivée à de pareilles palinodies ? Quelle que soit la dépendance actuelle des agriculteurs au glyphosate et quelles que soient les menaces de poursuites de Monsanto si aucune décision n’était prise d’ici à cette date butoir, n’est-il pas plus urgent et nécessaire d’en avoir le cœur net quant aux dangers du pesticide ?

Un telle confusion n’aurait pas été possible sans l’emploi, par Monsanto, de méthodes de lobbying et de pression aussi agressives que douteuses, comme le démontrent les « Monsanto papers », ces milliers de documents internes rendus publics à la suite de procédures judiciaires intentées aux Etats-Unis contre la firme agrochimique. Celle-ci semble pratiquer de façon systématique la manipulation de données scientifiques. Or, les études fournies par Monsanto étaient le socle de la décision des autorités américaines d’autoriser le glyphosate en 1974. Ces études ont aussi conduit les agences réglementaires européennes à réitérer leur feu vert en 2015 et 2017.

Le doute jeté sur l’ensemble des données scientifiques produites par Monsanto sur l’innocuité de ses produits est profond. Il a ébranlé l’opinion publique et choqué les députés européens qui, le 25 octobre, ont adopté une résolution, non contraignante, exigeant l’interdiction du glyphosate d’ici à 2022. Seules la Commission européenne et ses agences semblent vouloir ignorer à la fois l’onde de choc provoquée par cette affaire et l’ampleur de la remise en question du système européen d’évaluation des pesticides. Ces atermoiements ne peuvent susciter que l’incompréhension, voire la colère.

Prendre des décisions politiques « fondées sur la science » : à Bruxelles, ce slogan de lobbyiste est devenu un mot d’ordre, quand il n’est pas un mot d’excuse. Car les industriels exigent que les décisions soient fondées sur la science, à condition qu’il s’agisse de la leur. Il est salutaire que les citoyens, écartés de discussions techniques menées à huis clos, fassent entendre leurs inquiétudes et se réapproprient le débat démocratique. Même fondées sur la science, les décisions ne peuvent être que politiques. La Commission européenne ne peut l’ignorer.