Ce sont les notes de bas de pages, écrites en petits caractères, ces fichues clauses qui changent fondamentalement un contrat sans qu’on s’en aperçoive. Dans le cas précis des établissements financiers américains, elles empêchaient les consommateurs mécontents, les client spoliés ou les étudiants endettés de s’unir pour intenter un procès collectif, une « class action ». Ils devaient passer obligatoirement par la case arbitrage, un procès privé perdu d’avance dans la plupart des cas.

Mais après la terrible crise des subprimes, ces prêts immobiliers à risque qui ont conduit à la faillite de millions de ménages et fait exploser le système, l’administration Obama avait permis l’adoption d’une nouvelle réglementation qui devait permettre de rendre ces clauses inopérantes et d’engager des procès collectifs. Insupportable pour Wall Street. Les républicains se sont chargés de démonter ce mécanisme.

Mardi 24 octobre, le Sénat a adopté l’annulation de cette réglementation. Deux sénateurs républicains ayant rejoint le camp démocrate sur ce vote, le vice-président Mike Pence a usé de sa voix pour faire basculer la décision. Elle complète celle prise en juillet par la Chambre des représentants, qui avait franchi la première étape en annulant cette régulation par 231 voix contre 190. La loi doit être soumise à la signature de Donald Trump pour être promulguée.

L’affaire a donné lieu à une vive bataille politique : la réglementation avait été adoptée seulement en juillet par une agence fédérale – le Bureau de la protection financière des consommateurs (CFPB) – et elle devait entrer en vigueur en 2019. Elle était l’œuvre de son directeur, Richard Cordray, nommé en 2012 par Barack Obama. Ce démocrate, que Donald Trump, n’a pas pu limoger, a continué à faire de la résistance.

« Des entreprises libres de violer la loi »

Lorsqu’il a adopté sa réglementation cet été, les chambres de commerce américaines ont dénoncé « l’exemple d’une agence gouvernementale devenue voyou » tandis qu’un représentant républicain du Texas, Jeb Hensarling, s’emportait : « Lors de la dernière élection, le peuple américain a voté pour assécher le marais de Washington de ses bureaucrates capricieux et irresponsables qui veulent contrôler leur vie. » L’élu annonçait l’annulation de la loi, à la majorité simple en vertu du Congressional Review Act, qui s’est conclue hier.

Pour M. Cordray, qui devrait quitter ses fonctions avant un an, surtout s’il s’engage pour devenir gouverneur de l’Ohio, c’est une défaite pour lui… et les consommateurs.

« Ce vote est un revers gigantesque pour chaque consommateur de ce pays. Wall Street a gagné et les gens ordinaires ont perdu », a-t-il déploré, ajoutant qu’« en conséquence, les entreprises comme Wells Fargo et Equity restent libres de violer la loi sans craindre de conséquence judiciaire de la part de leurs clients ». La banque Wells Fargo (qui a créé de faux comptes et facturé des frais indus à ses clients) ou l’agence de notation de solvabilité Equifax (qui s’est fait voler 230 millions de données personnelles) ont usé de ces clauses pour éviter les procès.

Au contraire, la Maison Blanche a fait savoir que Donald Trump soutenait cette annulation, car la loi aurait « affecté les caisses d’épargne et les banques locales en ouvrant la porte à des poursuites futiles par des avocats spécialisés dans ces procès ».

Efficacité du regroupement de consommateurs lésés

En réalité, ces derniers empochent en moyenne 20 % des fonds perçus, selon le CFPB. C’est ce qui ressort d’un rapport de plus de 700 pages produit en mars 2015 par l’agence de M. Cordray sur ces clauses d’arbitrage. Cette enquête révéla que non seulement les particuliers ne pouvaient pas intenter de procès mais que, dans la pratique, ils ne recouraient pas à l’arbitrage.

Sur les deux années étudiées (2010 et 2011), seuls 78 cas d’arbitrage sur 341 décisions rendues ont été favorables aux consommateurs qui ont récupéré la somme dérisoire de 400 000 dollars. A l’inverse, les class actions, qui permettent de regrouper les particuliers lésés sur de petites sommes, ont permis d’obtenir 220 millions de dollars par an pour 6,8 millions de consommateurs.

Depuis que la Cour suprême des Etats-Unis a consolidé le recours aux tribunaux d’arbitrage en 2011 et 2013, ceux-ci sont devenus quasi inévitables pour les prêts étudiants, les locations de voiture ou encore les abonnements téléphoniques. Ils le seront encore plus lorsque Donald Trump aura signé la loi.

Comme le rappelle le Wall Street Journal, c’est la quatorzième fois depuis l’entrée en fonction de M. Trump que le Congrès annule via Congressional Review Act des réglementations permises par Barack Obama.