Photo d’illustration / Lyon-2008 / FRED DUFOUR / AFP

Olivier Galland, directeur de recherche au CNRS, est sociologue, spécialiste de la jeunesse. Il explique, dans un entretien, comment la définition et la perception de cet âge de la vie évoluent.

Comment définiriez-vous la jeunesse ?

Olivier Galland : Les sciences sociales ont d’abord considéré les jeunes comme un groupe socioculturel très spécifique. S’est imposée assez tardivement, à la fin des années 1980, l’idée qu’elle est avant tout un passage. Reste à déterminer ses bornes : la fin des études et le début de la vie professionnelle, le départ du domicile parental, la mise en couple et enfin la naissance d’un enfant. Ces étapes, qui, après la deuxième guerre mondiale, se succédaient de façon rapprochée, sont de moins en moins continues et corrélées entre elles.

Aujourd’hui, l’âge médian de la fin des études reste aux alentours de 20 ans, mais l’âge à la naissance du premier enfant est proche de la trentaine. On note aussi que les changements sont moins nets : côté logement, cela commence souvent avec un lieu de résidence pour ses études en semaine, avec retour chez ses parents le week-end. De la même façon, entre formation et emploi se sont développés des états intermédiaires, comme les stages, et des allers-retours.

La jeunesse s’est donc allongée, avec une entrée dans l’âge adulte retardée ?

L’allongement s’est fait par les deux extrémités. Pour commencer, l’entrée dans l’adolescence est plus précoce que par le passé. A la faveur des nouveaux moyens de communication s’est développée, chez les collégiens, une autonomie relationnelle, comme l’appellent mes collègues, sans que les parents ne contrôlent ces relations. Elle s’accompagne d’une plus grande autonomie dans les idées et dans les choix de consommation, auparavant largement guidés par les parents. Le changement est aussi physiologique : chez les jeunes filles, les premières règles arrivent plus tôt que par le passé.

La jeunesse s’est aussi allongée par l’autre bout, avec la prolongation des études et surtout une entrée dans la vie familiale bien plus tardive. On notera en revanche que l’âge du départ de chez les parents a peu évolué, et se situe toujours aux alentours de 20 ans : il s’effectue désormais fréquemment durant les études, grâce aux aides au logement versées par l’Etat et à l’aide financière parentale.

Si on prend les bornes extrêmes, on peut donc dire que la jeunesse court de 15 ans à presque 30 ans. Mais c’est un passage progressif, avec pour autres étapes importantes la mise en couple – l’enquête « Emploi du temps » de l’Insee montre qu’une fois en couple, les jeunes sortent beaucoup moins. L’allongement de la jeunesse se mesure aussi à l’aune des statistiques publiques : l’Insee prend de plus en plus en compte, dans ses études, la tranche d’âge des 15-29 ans, au lieu des 15-24 ans.

Les jeunes souhaitent-ils vraiment rester jeunes, et retarder le passage à l’âge adulte ?

Il y a un débat chez les sociologues, certains affirmant que les représentations traditionnelles de la jeunesse, de la maturité et de la vieillesse ne signifient plus rien pour les acteurs alors que les attributs de la maturité, notamment la stabilité de l’emploi, sont remis en cause. Personnellement, je n’en suis pas du tout convaincu. Les enquêtes montrent que les jeunes croient à ces attributs, qui sont d’avoir un travail, un logement, et une famille, et qu’ils aspirent à y accéder, même si pour cette dernière, les jeunes des classes moyennes et supérieures ont tendance à repousser l’échéance.

Qui plus est, en France, l’idée selon laquelle ces attributs auraient explosé n’est pas juste. La précarité de l’emploi se concentre en réalité sur les jeunes, tandis que la situation des 30-50 ans s’est peu modifiée. Les fermetures d’usines marquent les esprits, mais l’immense majorité des entrées au chômage résultent de la fin de CDD, que connaissent surtout les jeunes. Je pense donc que le modèle ternaire reste pertinent. Et qu’une partie des jeunes, peu diplômés, subit la prolongation de cette jeunesse sans emploi et sans logement à soi.

Quand les jeunes eux-mêmes situent-ils le passage à l’âge adulte ?

L’accès au premier emploi stable, au CDI, est quelque chose de très important, d’autant qu’elle constitue la clé d’accès à d’autres attributs, notamment le logement. La naissance du premier enfant est néanmoins le seuil fondamental, car non réversible, et qui engage pour toute la vie. À noter que si celle-ci intervient bien plus tardivement que par le passé, l’allongement de la jeunesse ne s’accompagne pas d’un butinage sexuel. Les jeunes d’aujourd’hui ont même moins de partenaires sexuels que ceux des années 1970 ou 1980.

La jeunesse dure-t-elle moins longtemps pour les femmes ?

Il y avait par le passé une complémentarité dyssymétrique entre les hommes et les femmes, qui favorisait la constitution précoce des couples et la constitution des familles. Au fur et à mesure que les femmes ont fait des études et sont entrées dans la vie active, leur modèle d’entrée dans la vie adulte s’est rapproché de celui des hommes. Néanmoins, elles quittent généralement le domicile parental deux ans plus tôt qu’eux, et se mettent en couple deux ans plus tôt également.

Nos représentations de la jeunesse et du passage à l’âge adulte diffèrent-elles de celles des autres pays ?

Dans les pays méditerranéens, comme l’Italie et l’Espagne, la vie chez les parents est tardive, jusqu’à environ trente ans, tout à la fois pour des raisons culturelles et parce qu’il y a peu d’aides pour la jeunesse. Cela n’empêche pas ces jeunes d’avoir un mode de vie proche de celui des autres pays, avec une grande autonomie et liberté, mais les seuils sont passés de façon moins progressive, sans l’étape de vie seule et sans enfants. À l’opposé, le modèle des pays scandinaves se distingue par une autonomie résidentielle précoce, toute à la fois culturelle et favorisée par les dispositifs financiers. Ainsi au Danemark, les jeunes bénéficient d’une bourse quels que soient les revenus de leur famille, avec la contrepartie de devoir réussir leurs études.

La France connaît donc une situation intermédiaire : grâce à ce revenu universel de la jeunesse que constitue l’aide au logement, l’apprentissage de l’autonomie se fait à distance des parents, tout en bénéficiant de leur aide matérielle et affective. C’est une forme de détachement progressif, qui n’est pas si mal, à condition que les parents soient en mesure d’apporter cette aide. Quant au modèle anglo-saxon, il prévoit une autonomisation très précoce, mais très clivée socialement : d’un côté, des jeunes qui partent de chez eux pour faire des études, de l’autre, des jeunes qui rentrent très tôt dans la vie active.