A Barcelone, le 27 octobre. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE

Editorial du « Monde ». Et maintenant, place à la démocratie. La décision du gouvernement espagnol, annoncée vendredi soir 27 octobre par son président, Mariano Rajoy, de convoquer des élections régionales le 21 décembre en Catalogne remet enfin le curseur là où il devait être dans cette douloureuse affaire catalane. Il fallait donner la parole aux Catalans eux-mêmes. A tous les Catalans. A eux, à présent, de se prononcer.

La « république indépendante » proclamée dans l’après-midi par un Parlement catalan déserté par près de la moitié de ses élus est une fiction, qui n’aura vécu que quelques heures. Aucun Etat étranger ne l’a reconnue. L’Union européenne et ses principaux Etats membres ont aussitôt réaffirmé leur soutien à l’Etat espagnol. L’avis des services juridiques de l’assemblée catalane, qui avaient averti que la résolution d’indépendance soumise au vote des députés était illégale, a été superbement ignoré par les dirigeants indépendantistes.

L’état d’impréparation de ces mêmes responsables sur ce que serait, institutionnellement, économiquement, diplomatiquement, la république à laquelle ils prétendent donner naissance, a trahi une immaturité politique sidérante. Aucun projet d’avenir sérieux, au-delà de la simple affirmation de l’indépendance, n’a été soumis au peuple catalan. Les milieux économiques, pourtant traditionnellement proches des nationalistes, ont si peu confiance dans la viabilité de cette procédure que près de 1 700 entreprises ont déjà quitté la Catalogne depuis un mois.

Dérapages et affrontements ont été évités

Malgré les applaudissements d’usage et contrairement à ce que peuvent laisser croire des images télévisées forcément partielles, il n’y a eu ni fierté ni liesse populaire à Barcelone pour saluer cette proclamation bancale. L’heure est trop grave pour les Espagnols, toutes régions autonomes confondues, et pour les Européens, qui savent ce que peut coûter à l’UE cette crise en son sein, pour se laisser aller à des débordements d’allégresse – ou de colère – face à une folle fuite en avant. Il faut à cet égard saluer la remarquable retenue du peuple catalan, qui, à l’exception de quelques incidents mineurs, a su éviter jusqu’ici dérapages et affrontements.

Il faut aussi saluer la volonté des responsables de Madrid (après la bavure de l’intervention brutale de la Guardia Civil lors du vote sur l’indépendance, le 1er octobre), de Bruxelles et des gouvernements européens de s’en tenir au droit, rien qu’au droit, et au respect des règles démocratiques et constitutionnelles. C’est le fondement de la construction européenne, et c’est la grande erreur de Carles Puigdemont de l’avoir ignoré.

Car le président de la Généralité de Catalogne, désormais destitué par Madrid, aurait pu, lui-même, décider de donner la parole à ses électeurs en convoquant, de Barcelone, un tel scrutin régional. Mais l’indécis M. Puigdemont s’est laissé enfermer dans les replis d’un nationalisme jusqu’au-boutiste, qui a transformé une aspiration légitime à une autonomie mieux conçue en une haine d’une Espagne fantasmée comme une dictature qu’elle n’est plus.

Le moment est venu de reprendre son souffle et de regarder l’avenir. Les élections convoquées par M. Rajoy offrent aux nationalistes catalans la perspective d’un processus légal et négocié pour décider de leur relation avec le reste de l’Espagne. Rien ne dit, à ce stade, que la raison l’emportera. Mais il y a, enfin, une porte de sortie de crise dans laquelle les forces politiques catalanes responsables peuvent tenter de s’engouffrer.