Les « unionnistes » dénoncent le « coup d’Etat » d’une minorité qui a déclaré l’indépendance en dépit d’une majorité politique fragile. / RAFAEL MARCHANTE / REUTERS

C’est une foule déterminée, en colère, mais aussi abasourdie qui a recouvert le Passeig de Gràcia aux couleurs de l’Espagne, dimanche 29 octobre à Barcelone. Cette avenue, l’une des plus chics de la capitale catalane, a disparu sous une forêt de drapeaux espagnols, catalans et européens dès 10 h 30, et résonné pendant des heures aux sons de « Je suis Espagnol », en écho à « Puigdemont, en prison ! ».

Car si la volonté de rappeler leur attachement à l’Espagne les cimente – comme en témoigne l’ovation qui monte de la foule à chaque apparition d’un hélicoptère de la police nationale –, c’est bien la colère envers l’exécutif catalan et son président destitué, Carles Puigdemont, qui les a réunis. Quarante heures après la déclaration de la République catalane par le Parlement régional, ils étaient 300 000 selon la police locale, plus d’un million selon les autorités espagnoles, soit autant que le 8 octobre.

Au diapason d’Alex Ramon, l’un des organisateurs de la manifestation qui a qualifié la déclaration d’indépendance « d’illégale et illégitime », « une folie qui nous a conduits au précipice », les manifestants n’avaient pas de mots assez durs pour Carles Puigdemont et son exécutif.

« Ils ont ignoré toutes les lois »

« Ce sont des gens qui n’ont rien dans la tête pour faire ce qu’ils ont fait à la Catalogne ! », vitupère Carla, catalane d’origine Andalouse drapée à la fois du drapeau catalan et de celui de l’Espagne. « Ils n’obtiendront rien de plus, ils ont juste gagné la division de la région ».

Elena, une Franco-Espagnole née à Barcelone, ne la contredira pas. « On en a ras-le-bol. Ces gens [l’exécutif catalan déchu] nous ont pris pour des idiots. Depuis des années, ils expliquent que la Catalogne vaut mieux que le reste de l’Espagne, qu’elle est volée par l’Espagne Mensonge : la région a une autonomie énorme ! ».

Ont-ils été trop attentistes ? Ils reconnaissent qu’ils ont commis l’erreur de croire que le processus, parce qu’illégal aux yeux de Madrid, ne conduirait nulle part. Beaucoup sont venus pour la première fois, avouant ne pas avoir cru que les indépendantistes iraient « aussi loin ».

« Mais la question n’est même plus celle de l’indépendance, estime Elena. On peut discuter de tout, tant qu’on est dans un cadre légal. Là, ils ont violé et ignoré toutes les lois, et ils ont menti aux gens sur la possibilité d’une sécession. »

Les élections de décembre en ligne de mire

Ils ont maintenant un espoir : que les élections annoncées par Mariano Rajoy pour le 21 décembre permettent à la Catalogne de « rétablir le vivre ensemble ». Cette atmosphère de pré-campagne électorale n’a été que renforcée par l’union inédite du Parti populaire (PP, la droite), de Cuidadanos, parti centriste et première force d’opposition au Parlement, et du parti socialiste catalan (PSC), qui s’est joint pour la première fois aux manifestations pour faire front commun contre l’indépendantisme.

Le socialiste catalan Josep Borrell, ancien président du Parlement européen, a d’ailleurs prononcé un discours pour dénoncer une « tragédie historique » causée par les séparatistes. Des applaudissements unanimes ont ponctué son intervention, les manifestants lui répondant en chœur : « Maintenant, oui, nous allons voter ».

Mais si participer au futur scrutin est une évidence pour tous, le front commun contre l’indépendantisme n’est pas acquis. « Je voterai Cuidadanos, sait déjà Eleazar, employé chez Nissan. Ils sont les seuls à pouvoir apaiser la Catalogne. Le PP ne le peut pas, il est trop associé au franquisme ici », explique le jeune homme de 29 ans.

Lire l’éditorial du « Monde » : Catalogne : place à la démocratie

Pour d’autres, comme Soraya, ce sera peut-être les socialistes, mais le choix n’est pas fait. En tout cas, « pas le PP », tranche-t-elle d’emblée. « Rajoy n’aurait pas dû agir comme il l’a fait avec les indépendantistes. Il n’avait plus d’autre choix que de faire appliquer le 155 après la déclaration de vendredi, mais il aurait dû négocier avant », estime cette retraitée.

Rares sont ceux qui estiment une coalition nécessaire pour contrer les indépendantistes. « Ils ne sont pas majoritaires de toute façon », assène ainsi Jaime, professeur de catalan, rappelant que la coalition indépendantiste n’a obtenu que près de 48 % des voix aux élections régionales de 2015. « Ils ne peuvent pas gagner en décembre ! » anticipe-t-il, soulignant que le principal est que « les Catalans puissent enfin s’exprimer dans un cadre légal ».

Deux camps « fracturés pour longtemps »

Reste que les élections convoquées par Mariano Rajoy sont loin d’être une évidence pour tous les habitants de la capitale catalane. Dans les rues, dimanche, les indépendantistes n’ont eu pour seuls représentants que les drapeaux accrochés aux fenêtres fermées de Barcelonais. Mais, même silencieux, ils ont observé avec hostilité les clameurs unionistes.

Anonyme derrière ses lunettes noires, cette retraitée est restée postée devant la Generalitat – le siège de l’exécutif catalan –, une partie de l’après-midi, en regardant avec dégoût le drapeau national qui flotte encore au-dessus du bâtiment. Emblème de la discorde, elle considère l’étendard comme une provocation de Madrid tandis que les anti-indépendantistes le voient, eux, comme une hypocrisie : Oriol Junqueras, vice-président déchu de la Catalogne, a, en effet, assuré la veille que Carles Puigdemont « est et restera[it] le président du pays ».

Est-ce qu’elle votera en décembre ? « Certainement pas. Mon président c’est Carles Puigdemont, pas Rajoy. Pour l’instant, il a dit on ne vote pas, alors je ne vote pas ». Grimaçante, elle n’hésite pas à qualifier « les Espagnols » de « fascistes », qui retournent volontiers l’accusation aux séparatistes, taxés de « coup d’Etat », voire « d’attentat contre la démocratie ».

Un ressentiment violent qui laisse à penser que, même si les rues de Barcelone ne sont le théâtre d’aucun heurt, d’aucun affrontement ni d’aucun éclat de voix, elles renferment toutes l’incompréhension de deux camps qui, selon Carla, les larmes aux yeux du haut de ses 54 ans, « seront, quoi qu’il arrive, fracturés pour longtemps ».

En images : la manifestation de Barcelone contre l’indépendance de la Catalogne