La chef de la diplomatie rwandaise Louise Mushikiwabo, en 2011. / TONY KARUMBA / AFP

Quelques jours après avoir rappelé son ambassadeur à Paris pour consultation, la ministre rwandaise des affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, a donné une interview conjointe, dimanche 29 octobre à Kigali, à TV5 Monde, RFI et Le Monde. Elle a déclaré à cette occasion que l’interminable instruction portant sur l’attentat du 6 avril 1994, qui avait coûté la vie au président rwandais de l’époque Juvénal Habyarimana, ne saurait durer indéfiniment. Cet attentat est considéré comme le déclencheur du génocide qui coûta la vie à 800 000 Tutsi et Hutu modérés.

« Il y a un problème avec cette instruction sans fin, avec ces témoins de la 25e heure, avec ces juges qui succèdent aux juges, les Jean-Louis [Bruguière], les Jean-Marc [Trévidic]... Il faut que ce soi-disant procès se termine un jour. Et si la France ne le fait pas, nous allons le faire. »

« La France a l’occasion de se confronter à sa propre histoire »

Cette instruction, qui dure depuis bientôt deux décennies et qui a déjà été à l’origine d’une rupture des relations diplomatiques entre Paris et Kigali, est la source de la nouvelle crispation en cours. Les juges Nathalie Poux et Jean-Marc Herbaut ont en effet convoqué le ministre rwandais de la défense, James Kabarebe, pour une confrontation avec un nouveau témoin accusant l’ancienne rébellion tutsie, dirigée à l’époque par l’actuel président rwandais Paul Kagamé, d’être responsable du tir de missile ayant abattu l’avion présidentiel.

Mme Mushikiwabo voit dans ce développement judiciaire l’influence de « certains responsables [français] qui étaient les soutiens d’un régime qui a commis un génocide, et qui essaient depuis vingt-trois ans de cacher leurs traces, de brouiller les pistes ». Pour elle, « ce soi-disant procès n’a aucune raison d’être. Nous avons collaboré car nous voulions aller de l’avant. Mais on a trouvé du côté de la France une certaine arrogance ». La ministre n’accorde à la justice française aucune indépendance : « Comme par hasard, quand les relations politiques étaient bonnes [sous Nicolas Sarkozy], la justice avançait bien. Ce n’est pas de la justice, c’est de la politique. »

Mais, entre les lignes, la responsable rwandaise, très proche du président Paul Kagamé, laisse entendre que l’heure n’est pas – encore – à une nouvelle rupture. « Nous attendons de la France qu’elle prenne ses responsabilités. Ce n’est pas à coup de faux procès, de faux rapports qu’elle le fera. Nous, Rwandais, avons dû nous confronter à nous-mêmes, c’est au tour de la France de le faire », a-t-elle déclaré. Avant d’ajouter :

« Aujourd’hui, la France a l’occasion de se confronter à sa propre histoire par rapport au Rwanda. Nous avons toléré beaucoup, mais le moment viendra où la France devra accepter qu’elle a joué un rôle terrible. »

Emmanuel Macron vu comme une opportunité

A Kigali, l’élection d’Emmanuel Macron, trop jeune pour avoir eu des responsabilités au moment du génocide et considéré comme plus flexible sur les questions mémorielles depuis sa sortie en Algérie sur la colonisation – qualifiée de « crime contre l’humanité » –, est vue comme une opportunité d’ouvrir une nouvelle page dans les relations franco-rwandaises. Nicolas Sarkozy était venu en février 2010 à Kigali, où il avait reconnu de « graves erreurs » et un « aveuglement » de la France. Un geste apprécié mais jugé insuffisant par Kigali. « Le soutien, la participation, d’une manière ou d’une autre, à un génocide, on n’appelle pas ça un aveuglement », a estimé Louise Mushikiwabo dimanche.

Depuis 2010, les relations se sont à nouveau tendues, avec l’enlisement des diverses procédures en cours et le dépôt de nouvelles plaintes, comme celle, récente, visant la BNP pour avoir financé l’achat d’armes par le gouvernement hutu extrémiste en plein génocide malgré un embargo de l’ONU. Résultat, Paris n’a plus d’ambassadeur à Kigali depuis 2015.

Emmanuel Macron, dont le conseiller diplomatique, Philippe Etienne, avait déjà œuvré au rapprochement sous Nicolas Sarkozy, a marqué sa volonté d’entretenir de bonnes relations avec son homologue rwandais en le rencontrant en marge de l’assemblée générale de l’ONU en septembre. Il a aussi l’avantage de ne compter, ni dans sa formation politique, ni dans son gouvernement, d’acteur de la tragédie rwandaise, ce qui était le cas de Nicolas Sarkozy (avec Alain Juppé, ministre des affaires étrangères au moment du génocide) et de François Hollande (avec Hubert Védrine, proche du Parti socialiste, qui était alors secrétaire général de l’Elysée sous François Mitterrand).

En France, une situation complexe

Mais l’enchevêtrement des procédures judiciaires et la mise en cause de plusieurs hauts responsables militaires français dans diverses instructions – l’actuel sous-chef d’état-major « opérations » français, Grégoire de Saint-Quentin, était l’un des premiers sur les lieux du crash du 6 avril – risquent de contrarier la volonté de M. Macron de se livrer à un « aggiornamento » français sur le Rwanda.

D’autant que les relations entre l’institution militaire et le nouveau président se sont nettement dégradées depuis la démission fracassante du chef d’état-major Pierre de Villiers. Son successeur, François Lecointre, a participé à la très controversée opération militaro-humanitaire Turquoise, pendant les dernières semaines du génocide au Rwanda.

Mme Mushikiwabo ne semble pas se faire beaucoup d’illusions sur la capacité d’Emmanuel Macron à s’affranchir de cet héritage : « Un président peut avoir toute la bonne volonté du monde, il se retrouve avec un passif. C’est à lui de le gérer », a-t-elle lâché à l’attention de M. Macron.