Un e-sportif durant l’Asian indoor and martial arts games, une compétition de jeu vidéo tenue mi-octobre à Achgabat, au Turkménistan. / David Aliaga / AP

Samedi 28 octobre, le Comité international olympique (CIO) a à nouveau fait un pas en direction de la reconnaissance des épreuves de jeu vidéo comme forme de sport – étape supplémentaire en vue de leur possible intégration aux olympiades de 2024… au plus tôt.

Nicolas Besombes, docteur en sciences du sport de l’université Paris-Descartes, par ailleurs membre de l’association France eSports, explique au Monde les enjeux, du point de vue de l’industrie du jeu vidéo.

Une entrée aux JO, qu’est-ce que cela changerait pour la scène e-sport en particulier, et le marché du jeu vidéo en général ?

Avant tout, ce n’est pas tant l’entrée aux Jeux olympiques qui serait le réel changement, mais le chemin parcouru qu’elle soulignerait. Cela signifierait que l’écosystème e-sportif se serait doté d’un organe représentatif international légitime, qui encadrerait et promouvrait la pratique au niveau mondial. L’e-sport serait donc mieux structuré, faisant participer les différents acteurs de l’écosystème (joueurs, promoteurs et surtout éditeurs) lors des prises de décisions. Il y aurait une protection des joueurs (contrats, temps de travail, chômage, sécurité sociale, etc.), une parité et de la mixité, une politique de santé publique (lutte contre le dopage et encadrement des mineurs), l’inclusion des personnes en situation de handicap, une uniformisation des règlements…

Après, évidemment, une reconnaissance par le CIO offrirait une reconnaissance sociale et une légitimité institutionnelle supplémentaire à l’e-sport et aux e-sportifs. Ce serait un signe fort de la part du monde sportif et de la société, qui ont pendant longtemps stigmatisé le jeu vidéo, l’e-sport et ses pratiquants, pour les maux dont ils seraient à l’origine : violence, addiction, isolement social, décrochage scolaire, sédentarité. Enfin, d’un point de vue économique, ce serait une manne financière non négligeable pour l’industrie, car le CIO reverse une partie de ses bénéfices aux fédérations qui ont pris part aux Jeux.

L’un des gros obstacles actuels de l’e-sport, et c’est notamment vrai de « League of Legends », c’est qu’il est quasi incompréhensible pour le grand public. Faut-il admettre que certaines disciplines seront ainsi réservées à de (gigantesques) niches ?

Il en est de même pour le sport. De nombreuses disciplines ne sont pas forcément accessibles au grand public du premier coup : cricket, football américain, curling… C’est là toute l’importance des commentateurs et analystes et de leur pédagogie.

Aujourd’hui, les jeux de simulations sportives semblent les mieux armés, car le jargon est identique à ceux des disciplines qu’ils simulent et leur mise en scène à l’écran reproduit à l’identique la mise en scène télévisuelle de leurs consœurs du monde réel. Fifa n’est pas tant un jeu de simulation de foot qu’un jeu de simulation du spectacle télévisé du foot. Mais d’autres jeux ont leur mot à dire. Rocket League est très spectaculaire et l’arène virtuelle est assez restreinte.

Certains jeux de combat sont particulièrement simples à comprendre visuellement : l’arène est tout le temps visible à l’écran, et la barre de vie explicitant l’avantage ou le retard d’un adversaire. Il est évident que le jeu diffusé « brut » peut être rébarbatif pour le grand public, à chacun des acteurs de l’écosystème e-sportif de développer des outils et des leviers pour en faire un spectacle de masse.

2016 Rocket League Championship Final Match iBuyPower vs FlipSid3 Tactics
Durée : 01:04:06

L’introduction de l’e-sport aux JO susciterait de nombreuses levées de bouclier. Que peut faire l’e-sport pour convaincre ses détracteurs ?

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’entrée de l’e-sport aux JO n’est pas un objectif, ce n’est pas une fin en soi. Le monde de l’e-sport est conscient de son manque de structuration et des efforts qui lui restent à effectuer. Le sport a près de cent cinquante ans, l’e-sport une grosse vingtaine d’années. Difficile de faire autant avec si peu de temps d’existence.

Comme dans le sport, il existe des conflits entre pratiquants pour savoir si leur discipline doit être incorporée à une fédération vouée à la compétition (il y a par exemple une opposition dans le monde du surf entre Kelly Slater et Laird Hamilton ou Rob Machado, « puristes » prônant un art de vivre), il existe la même chose dans l’e-sport. Certains voient dans la reconnaissance de l’e-sport par le CIO une manière supplémentaire de développer, structurer et professionnaliser l’e-sport. Pour d’autres, ce serait accepter d’être encadré par les mêmes institutions qui les ont dénigrés depuis vingt ans.

Finalement, la meilleure façon de faire face aux détracteurs et aux réfractaires consiste à être patient, en faisant preuve de pédagogie. On oublie bien vite que les nombreux préjugés liés au jeu vidéo et à l’e-sport proviennent d’une méconnaissance de ces objets et de ces pratiques. Il est donc nécessaire de continuer à diffuser des connaissances et à partager des expériences.

Cependant, il y aura toujours des détracteurs de l’e-sport. A ceux-là, il faut leur expliquer que l’e-sport ne cherche pas à remplacer le sport qui leur est si cher, mais seulement à en constituer une extension, en l’enrichissant de nouvelles pratiques et disciplines.

A quels jeux pourrait profiter l’entrée de l’e-sport aux JO, et quels jeux pourraient en faire les frais ?

Si l’on s’en tient aux déclarations de Thomas Bach [le président du CIO], en août, il semble peu probable que des jeux au contenu supposé « violent » puissent apparaître dans un quelconque programme des JO. Ainsi tous les jeux déconseillés aux mineurs, et peut-être même aux moins de 16 ans, devraient être écartés dans un premier temps.

Les jeux les plus évidents sont, de toute évidence, les jeux de simulations sportives qui font le lien avec le monde du sport. Fifa, NBA 2K, Virtua Tennis, Virtual Regatta (ou leurs versions futures) sont les plus susceptibles d’apparaître dans ce cas-là. Mais il faut également prendre en compte que le CIO cherche à toucher l’audience la plus nombreuse, donc un jeu comme League of Legends n’est pas à écarter.

Est-ce que ce ne serait pas prendre le risque de créer d’énormes distorsions de concurrence sur le marché du jeu vidéo, et pérenniser le succès commercial de certains jeux et éditeurs au détriment d’autres qui en seraient exclus ?

C’est effectivement l’une des dérives malheureuses qui pourraient arriver. Mais un autre point de vue serait d’y voir l’opportunité pour certains jeux, plus confidentiels, d’avoir une plus grande visibilité : les jeux de tennis ou de voile, certains jeux de combat, plus colorés (Super Smash Bros par exemple), d’anciens jeux bien adaptés au format mais peu connus du grand public (Windjammers), des jeux offrant des expériences vidéoludiques inédites, que ce soit en termes de contenu (Rocket League) ou de gameplay – la réalité virtuelle et la réalité augmentée devraient peu à peu faire leur entrée dans le monde de l’e-sport).

Bref, au même titre que les JO promeuvent de nombreux sports, des plus populaires – football, basket-ball, Athlétisme, etc. – aux moins connus – curling, tir au pistolet, pelote basque, etc. –, il n’est pas inenvisageable que certains jeux moins médiatisés puissent bénéficier d’une sélection aux Jeux olympiques.