Cinq jours après sa proclamation au Parlement catalan, la République indépendante semble n’avoir été qu’un mirage en Catalogne. Alors que les organisations indépendantistes comme l’Assemblée nationale catalane (ANC) avaient appelé les fonctionnaires à la résistance passive face à la tutelle de Madrid, « tout est absolument normal en Catalogne » où la mise en application de l’article 155 « s’est déroulée sans aucun problème », a assuré, mardi 31 octobre, une source du gouvernement espagnol à Barcelone.

Aucune administration publique n’a dû fermer ses portes, aucune n’a même vu son fonctionnement perturbé par la mise sous tutelle. L’appel à la grève générale du syndicat indépendantiste Inter-SCS a été annulé, et le préfet, Enric Millo, a déclaré n’avoir « pas trouvé un seul cas de fonctionnaire qui ne remplisse pas son devoir », y compris parmi la police catalane, les Mossos d’esquadra, qui continuent d’assurer la sécurité.

Un calme apparent que confirme Joan Maria Sentís, des Commissions ouvrières, premier syndicat en Espagne. « Pour le moment, nous n’avons noté aucun conflit ni aucun problème relatif au travail des fonctionnaires de la Généralité, assure-t-il. Et il n’est pas prévu qu’il y en ait. »

Pour lui, même si l’application de l’article 155 de la Constitution espagnole est une « grave erreur », le gouvernement a promis de « restaurer la légalité », ce qui implique, selon le syndicaliste, de respecter la législation catalane autant que la loi espagnole. « Par conséquent, aucun conflit ne devrait naître parmi les employés de la Généralité » qui sont là pour « servir les citoyens catalans » et non pour « servir de monnaie d’échange dans la confrontation politique ».

Au gouvernement espagnol à Barcelone, on insiste d’ailleurs sur le fait que « l’autonomie de la Catalogne n’a pas été suspendue ». Si 155 personnes ont, pour l’heure, été démises de leurs fonctions au sein de l’administration (dont beaucoup sont des conseillers des responsables politiques), les institutions catalanes conservent leurs prérogatives et leur fonctionnement habituels, répète-t-on au siège de la délégation du gouvernement espagnol : « Il s’agit d’assurer un gouvernement minimal, afin de faire la transition jusqu’aux élections, pas de prendre le contrôle de la Catalogne. »

« L’indépendantisme a été stoppé »

Dans le collège où elle enseigne, à Barcelone, Maria* n’a constaté aucun changement. Pourtant, elle le souligne, « les professeurs de [son] établissement sont majoritairement indépendantistes », et l’éducation est fréquemment accusée d’être le fer le lance du sentiment indépendantiste catalan.

« Pour le moment, je crois qu’il est encore tôt pour voir les effets de l’article 155, estime cette jeune enseignante, en poste à Barcelone depuis trois ans et demi et opposée à la sécession catalane. Nous n’avons reçu aucun ordre qui nous dirait d’agir différemment. J’ai des collègues qui travaillent à la direction d’un collège ou d’un lycée qui me disent la même chose : on ne leur a rien dit. Tout est comme avant. »

A une quinzaine de kilomètres au sud de Barcelone, Roberto* fait le même constat. Lui travaille à la mairie d’une ville catalane de 66 000 habitants, et soutient que la mairie n’a « absolument rien » relevé d’anormal. « L’article 155 n’affecte que les hautes sphères de la Generalitat, celles qui ont un rôle politique. Les fonctionnaires, eux, continuent à faire leur travail normalement, avance-t-il. Tout ce qu’il pourrait se produire serait que certains essayent de ralentir certaines procédures, mais qu’est-ce que cela changerait ? Il ne reste que cinquante jours avant les élections. »

Le 21 décembre semble désormais bien être l’horizon des unionistes comme des indépendantistes. Ces derniers paraissent s’être ralliés au discours de leur dirigeant destitué, Carles Puigdemont. Depuis son exil en Belgique, l’ancien homme fort de la Catalogne, qui a affirmé qu’il ne rentrera pas en Espagne pour répondre à sa convocation de justice, a annoncé qu’il était prêt à « ralentir le déploiement de la République » pour « éviter la violence ». « C’est un processus long, mais nous finirons par obtenir l’indépendance », croit ainsi Angela, retraitée et fervente indépendantiste. Au gouvernement espagnol, on réplique que « l’indépendantisme n’est pas ralenti, il a été stoppé ».

Reste qu’au-delà de la situation politique, et en dépit de la tranquillité, à Barcelone, le mot indépendance se chuchote dans les restaurants, de peur de déclencher une dispute ; les fonctionnaires témoignent anonymement par crainte d’être suspendus par un camp ou par l’autre ; on s’insulte dans la rue en s’accusant mutuellement de ne « pas aimer son pays », et certains pleurent devant le palais de la Généralité, où drapeaux espagnol et catalan continuent de flotter côte à côte, en se demandant « où est passé le vivre-ensemble catalan ».


* Les prénoms ont été changés.

Qui sont les fonctionnaires catalans ?

Les communautés autonomes d’Espagne ayant de nombreuses prérogatives propres, elles disposent d’un certain nombre de fonctionnaires qui ne sont pas ceux de l’Etat central. En Catalogne, les fonctionnaires catalans sont les employés de la Généralité, qui assument leurs compétences dans l’éducation, la police, la gestion des prisons, la culture, la santé, etc., mais également ceux qui travaillent pour les mairies et les universités catalanes.

La Catalogne compte plus de 300 000 fonctionnaires, parmi lesquels :

  • 167 095 employés par la Généralité ;
  • 84 450 employés par les mairies ;
  • 26 353 employés par les universités ;
  • 25 989 employés par l’Etat central (soit 9 % du total).

Les deux tiers de ces fonctionnaires travaillent dans la province de Barcelone, qui regroupe plus 115 000 des 167 000 fonctionnaires de la communauté autonome.