Le collectif Romeurope qui recense régulièrement les expulsions des Roms, en a répertorié vingt-quatre en octobre, contre seulement quatre à la même période, il y a un an. / Feriel Alouti pour Le Monde

Pour la première fois en France, des hommes, des femmes et des enfants se sont réveillés, mercredi 1er novembre, avec le cœur plus léger, ou du moins l’espoir d’échapper, pour les trois prochains mois, à une expulsion, quel que soit leur lieu de vie. Grâce à la loi Egalité et citoyenneté, votée le 27 janvier, les personnes vivant dans des bidonvilles ou dans des abris de fortune peuvent désormais profiter de la trêve hivernale, qui chaque année suspend les expulsions pendant une durée de quatre-vingt-dix jours. La loi prévoit désormais que les lieux soumis à ce « répit saisonnier » ne soient plus les « locaux d’habitation » mais plus largement, les « lieux habités ».

« C’est une vraie avancée » qui va permettre « un minimum de protection » car, jusqu’à présent, « les gens les plus précaires, ceux qui sont dans les pires situations, ne pouvaient pas bénéficier d’une telle protection », se réjouit Loïc Blanchard, responsable juridique de Médecins du monde, une association qui intervient régulièrement dans les bidonvilles. D’autant que « la stabilité du lieu de vie est un des facteurs qui permet une meilleure inclusion », complète Manon Fillonneau, du collectif Romeurope.

Ce sursis hivernal a pour effet, non seulement d’accorder une pause à des personnes régulièrement victimes d’expulsions, mais également de faciliter l’élaboration d’un « parcours vers la scolarisation, l’emploi et le logement », explique Mme Fillonneau. Et même, pourquoi pas, être un « tremplin vers la sortie » du bidonville.

Près de 50 personnes expulsées par jour depuis juillet

Mais ces dernières semaines, et encore plus ces derniers jours, des municipalités, décidées à n’octroyer aucune trêve aux habitants des bidonvilles, ont multiplié les expulsions. Ainsi, en quarante-huit heures (la liste n’est pas exhaustive), près de quatre-vingts personnes ont été forcées à quitter un bidonville à Bègles (Gironde), quatre-vingt-dix à Limeil-Brévannes (Val-de-Marne), deux cents à Bouguenais (Loire-Atlantique) ainsi qu’à Marseille (Bouches-du-Rhône). Le collectif Romeurope qui recense régulièrement les expulsions de Roms, en a ainsi répertorié vingt-quatre en octobre, contre seulement quatre à la même période, il y a un an.

Autre chiffre, même réalité. Depuis début juillet, plus de 4 600 personnes, dont de nombreux enfants, ont été expulsées d’un bidonville ou d’un squat, soit près de cinquante personnes par jour, selon Romeurope. Et, si dans la moitié des cas, des solutions d’hébergement d’urgence ont été proposées, « c’était seulement pour quelques nuits », déplore le collectif.

Depuis le 30 septembre, Colixon et une cinquantaine de Roms dont plusieurs enfants, ont investi un terrain municipal d’Argenteuil. / Feriel Alouti pour Le Monde

Malgré l’entrée en vigueur de la trêve hivernale, mercredi, des dizaines de personnes ne sont, par ailleurs, toujours pas à l’abri d’une expulsion. En effet, celle-ci ne s’applique pas en cas d’expulsion administrative décidée par la mairie ou par la préfecture sous des délais très contraints, souvent quarante-huit heures, en cas d’arrêté municipal, dite « de péril » (pris lorsqu’un bâtiment présente des risques pour la sécurité des personnes qui y ont élu domicile), mais aussi, quand les occupants sont entrés sur les lieux par « voie de fait », autrement dit par effraction. C’est, par exemple, le cas quand il y a « destruction d’un cadenas ou d’une porte », explique Loïc Blanchard, mais difficile de savoir combien de bidonvilles sont dans cette situation. Quoi qu’il en soit, la décision revient au juge.

« Ils ont détruit notre moral »

C’est ce qu’il s’est passé vendredi 27 octobre, vers 17 heures, quand les habitants d’un petit bidonville d’Argenteuil (Val-d’Oise) ont reçu une ordonnance du tribunal de Pontoise leur intimant de quitter les lieux sans délai. « Ils ont détruit notre moral », résume dans un français maladroit Colixon, 29 ans, originaire de Roumanie. Le jeune homme, enveloppé dans une doudoune noire, un bonnet rouge enfoncé sur le crâne, est pourtant décidé à se battre. Avec plusieurs familles, ils ont contacté une avocate pour déposer un référé de suspension qui pourrait leur permettre de gagner du temps pour plaider leur cause.

Depuis le 30 septembre, Colixon et une cinquantaine de Roms ont élu domicile sur un terrain municipal. Sans eau ni électricité, ils vivent dans des tentes et des baraques faites de bric et de broc. Les femmes s’occupent des tâches domestiques, et vont, parfois, faire la manche dans la ville la plus proche ou à Paris. Quant aux hommes, ils font, chaque jour, le tour des décharges et des bennes à ordures pour récupérer tout ce qui contient de la ferraille, et vendre leur « récolte » aux portes de la capitale.

Avant d’échouer sur ce terrain vague, Colixon est déjà passé par les bidonvilles de Pantin, Nanterre, Goussainville et Montesson. Mais, il a toujours fini par être expulsé. / Feriel Alouti pour Le Monde

Avant d’échouer sur ce terrain vague, Colixon, arrivé en France en 2011, est déjà passé par plusieurs bidonvilles : Pantin (Seine-Saint-Denis), Nanterre (Hauts-de-Seine), Goussainville (Val-d’Oise), Montesson (Yvelines). Mais, il a toujours fini par être expulsé. « Alors qu’on est des citoyens européens, la France fait comme si on n’était pas là, et ne trouve aucune solution. Mais, si elle nous intégrait, il n’y aurait plus de bidonvilles », déplore ce brocanteur, qui attend d’être « mieux installé » pour faire venir sa femme et ses enfants.

La « solution » serait, selon lui, d’obtenir un terrain en échange de loyers. Comme l’a fait, en 2010, Dominique Voynet, ancienne maire de Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Depuis, « les enfants sont scolarisés et certaines familles ont même eu accès à des logements sociaux », relève Elise Languin, bénévole à Amnesty international et membre du collectif de soutien aux Roms du Val-d’Oise.

Car, à chaque expulsion, « c’est un éternel recommencement », dit-elle. Procédures administratives, projets de scolarisation, questions de santé, il faut souvent repartir de zéro. A Argenteuil, jusqu’à présent, les enfants n’ont toujours pas trouvé d’école. Mais, d’ici quelques jours, un camion scolaire devrait passer par le bidonville. Sauf si l’expulsion a déjà eu lieu.