Le scénario a quelque chose de surréaliste, digne des extravagances de l’ère Trump. Mardi 31 octobre et mercredi 1er novembre, tandis que la planète financière retenait son souffle en attendant la nomination imminente du nouveau président de la Réserve fédérale (Fed), les membres du comité de politique monétaire de l’institution ont calmement passé en revue les derniers indicateurs économiques. Mais parions qu’eux aussi avaient la tête ailleurs lorsqu’ils ont choisi de laisser les taux directeurs inchangés, évoluant dans une fourchette de 1 % à 1,25 %. Une décision conforme aux prévisions des marchés.

Quelques heures avant la publication du communiqué de la Fed, le président Donald Trump, qui entretient le suspense sur les réseaux sociaux depuis plusieurs jours, a déclaré qu’il jugeait « excellente » Janet Yellen, l’actuelle présidente de l’institut monétaire. Tout en refusant de dire s’il renouvelle son mandat. Il doit rendre sa décision sur le sujet jeudi 2 novembre. En attendant, les analystes se sont plongés dans la prose de la banque centrale, en quête d’indices sur les développements futurs de la politique monétaire.

Le mystère de l’inflation

Sans surprise, les membres de la Fed ont souligné la solidité de la croissance, « en dépit des perturbations liées aux ouragans ». De fait, le produit intérieur brut (PIB) a progressé de 3 % en rythme annualisé au troisième trimestre, selon la première estimation du gouvernement. Avec un taux de chômage à 4,2 %, au plus bas depuis 2001, le pays est proche du plein-emploi. « Les consommateurs continuent de dépenser à un rythme modéré et l’investissement des entreprises a accéléré », relève également l’institution.

En revanche, l’inflation n’est toujours pas au rendez-vous, et c’est le grand mystère auquel la Fed est aujourd’hui confrontée. En septembre, l’indice des prix aligné sur les dépenses de consommation est ressorti à 1,6 %, en légère hausse. Il est encore inférieur à la cible de 2 % de l’institution. Les salaires frémissent, mais leur progression reste insuffisante pour tirer les prix vers le haut. Est-ce parce que le marché du travail va moins bien qu’il n’y paraît ? A cause de la concurrence des pays à faible coût de main-d’œuvre ? « C’est difficile à dire, et il est loin d’être certain que l’inflation retrouve un jour son niveau d’avant-crise », prévient Christophe Boucher, économiste à Paris-X Nanterre. Un scénario que la Fed préfère pour le moment éluder, assurant que l’inflation « devrait se stabiliser autour de l’objectif de 2 % du comité à moyen terme ».

Le communiqué mentionne également la réduction « en cours » du bilan de la banque centrale, aujourd’hui de 4 200 milliards de dollars. Entre 2008 et 2014, l’institution avait massivement acheté des bons du Trésor américains et des titres appuyés sur des créances hypothécaires, afin de soutenir la reprise économique. En octobre, elle a cessé de racheter une partie des titres arrivant à échéance, à hauteur de 10 milliards de dollars par mois. Elle amplifiera ensuite le rythme jusqu’à 50 milliards de dollars mensuels, de façon à ramener la taille de son bilan à 1 000 milliards de dollars dans quelques années.

Scénarios pour 2018

Au regard d’un horizon conjoncturel plutôt bon, en dépit de la faiblesse de l’inflation, la Fed pourrait relever une nouvelle fois ses taux directeurs lors de sa réunion du 13 et 14 décembre, estiment économistes et investisseurs. En attendant de connaître le nom du successeur de Mme Yellen – peut-être Jerome Powell, un républicain modéré déjà gouverneur de la Fed –, ces derniers planchent déjà sur les scénarios envisageables en 2018. A quel rythme la hausse des taux se poursuivra-t-elle ? Quels facteurs entreront en jeu ? « Le caractère totalement imprévisible de Donald Trump complique beaucoup le travail de la Fed, souligne Jean-Michel Naulot, ancien membre du collège de l’Autorité des marchés financiers, auteur de « Eviter l’effondrement » (Seuil). Il est par exemple impossible de savoir comment vont évoluer les déficits américains ces deux prochaines années ».

Les incertitudes portent également sur les autres instituts monétaires. La Banque centrale européenne (BCE) va elle aussi réduire ses rachats de dette en 2018, tandis que la Banque d’Angleterre ne devrait pas tarder à relever ses taux. L’ère de l’argent facile, ouverte au moment de la crise de 2008, va progressivement se refermer. Les marchés, accros à ces liquidités, devront apprendre à s’en passer. Mais le sevrage s’annonce difficile.

Mercredi, la décision de laisser les taux inchangés a été prise à l’unanimité. Le républicain Randal Quarles, récemment nommé par Trump au poste de vice-président chargé de la supervision bancaire, participait pour la première fois au vote. Cet ancien sous-secrétaire au Trésor sous George W. Bush, jusqu’ici à la tête d’un fonds d’investissement, est favorable à un détricotage des régulations financières instaurées depuis 2008. Reste à savoir si le prochain patron de la Fed partagera ses vues sur le sujet…