Le titre du film, « Carré 35 », fait référence à l’emplacement où la sœur d’Eric Caravaca est enterrée, au cimetière de Casablanca, au Maroc. / LE FILM DU POISSON

Comédien vu chez les metteurs en scène Alain Françon ou Thomas Ostermeier, César du meilleur espoir masculin en 1999 pour C’est quoi la vie ?, de François Dupeyron, Eric Caravaca aura mis cinq ans à accoucher, selon ses propres termes, de son deuxième film en tant que réalisateur. Sans doute parce que Carré 35, documentaire sur sa sœur morte avant sa naissance, et dont lui et son frère ignoraient l’existence, est une histoire de famille. Et que, « comme souvent dans les histoires de famille, quand on tire un fil, on se retrouve avec une véritable bobine ». Il faut entendre « famille » à double titre. Caravaca évoque celle où il est né (en 1966) et qu’il a interviewée, mais aussi sa famille « putative » qui l’a aidé à réaliser. Avec, en frères de création : l’écrivain Arnaud Cathrine (dont il avait adapté La Route de Midland pour son premier film, Le Passager, en 2005), Florent Marchet pour la musique, et, pour le montage, Simon Jacquet, le parrain de son fils.

Un travail d’enquêteur

C’est en se rendant dans un cimetière pour les besoins d’un tournage qu’Eric Caravaca éprouve devant le carré enfant une « tristesse profonde, qui n’était pas la [sienne] et qu’il [lui] fallait expliquer ». Commence alors une véritable enquête. Semée d’embûches, et de morts successives. Celles de sa tante, du mari de cette dernière, de la femme de ce vieil ami de son père et enfin celle de son père, d’un cancer du cerveau.

Faire ce documentaire est devenu « une urgence », en plus d’être une nécessité. Pour redonner vie à Christine, cette sœur morte deux fois. La première, cliniquement, à l’âge de 3 ans et la seconde parce que leur mère a tout détruit, brûlé films et photos. Pourquoi ? Parce que Christine était trisomique, même si la mère d’Eric Caravaca est, à 82 ans, encore dans le déni. « Elle a dépensé tellement d’énergie à cacher tout ça. J’ai tenté de transformer cette souffrance, qui est d’abord la sienne, en quelque chose de créatif. Carré 35 parle beaucoup de la mort, mais aussi de la honte. Une femme doit donner des beaux enfants. En parler, c’était se défaire de cette honte, et donc pouvoir continuer à vivre. »

« “Carré 35” est aussi le récit de toutes les atrocités qui ont été commises en Afrique du Nord, où se sont rencontrés et mariés mes parents dans les années 1950. » Eric Caravaca

S’il a d’abord fait le film pour Christine (il pense aux mots d’Annie Ernaux sur sa propre sœur quand il dit : « Si Christine n’était pas morte, je ne serais probablement pas né »), Eric Caravaca l’a fait aussi pour lui-même. « Pour ne plus porter cette souffrance qui n’était pas à moi. Et pour décharger mon propre enfant de ça », commente celui qui s’intéresse beaucoup à la psychanalyse. Et de poursuivre : « Carré 35 est aussi le récit de tout ce que certains ont choisi d’appeler les événements – pour ne pas avoir à dire guerres –, toutes les atrocités qui ont été commises en Afrique du Nord, où se sont rencontrés et mariés mes parents dans les années 1950 (à Casablanca) et où est née Christine. Cette petite fille est devenue le symbole de tout ce qui a été occulté. »

Carré 35, d'Eric Caravaca (bande-annonce)
Durée : 01:38

Carré 35 sortira le 1er novembre, jour de la Toussaint, ce qui fait sourire celui qui ne croit pas au hasard. « Ce jour-là, j’aurai fait mon devoir parce que cette enfant va exister. » Bientôt, Eric Caravaca retrouvera un autre mort puisque « c’est pour ça, au fond, [qu’il a] fait du théâtre » : Anton Tchekhov. À partir du 10 novembre, il jouera dans Les Trois Sœurs, monté par Simon Stone à l’Odéon.

D’un côté disparaître derrière les mots des auteurs et, de l’autre, laisser une trace en faisant des films et aussi des photos, dont beaucoup prises, pour ne pas s’ennuyer, sur les tournages. Par le passé, certaines ont été exposées, chez agnès b. notamment, ou publiées, accompagnées d’une nouvelle écrite par Arnaud Cathrine (Les Garçons perdus, Éd. Le Bec en l’air). Il confie avoir d’autres projets et envies. « Quelques photos dans une boîte, c’est ce qui reste de nous tous quand on est morts, non ? Avoir un appareil photo dans sa poche, ça rend vivant. » Avec Caravaca, décidément, c’est à la vie à la mort.

« Carré 35 », d’Éric Caravaca, 1 h 07. En salle le 1er novembre. « Les Trois Sœurs » , de Tchekhov, mise en scène de Simon Stone, Odéon-Théâtre de l’Europe, du 10 novembre au 22 décembre. www.theatre-odeon.eu