Niamey, le 29 octobre 2017. Dans la gare routière de Sonatrans dont les bus desservent les voyageurs dans tout le Niger et jusqu'à la ville de Ouagadougou, au Burkina Faso. / SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE »

Ils sont assis en tailleur sur une natte déroulée à même les carreaux durs. Certains sont allongés, épuisés, tête calée sur leur sac de voyage. En cette fin octobre, les voyageurs patientent. Un vieux monsieur, barbe blanche et volumineux turban noir noué sur la tête, est plongé dans la lecture d’un document. C’est l’heure creuse dans cette salle d’attente de la compagnie de transport Sonef, l’une des plus importantes de Niamey, capitale du Niger. Les bus démarreront un peu plus tard dans la journée. À l’extérieur de la grille d’entrée, dans la poussière de la rue, des épiceries de fortune offrent sur leurs étals des sodas et des biscuits. Les passagers s’approvisionnent ici avant leur long trajet vers le nord du pays.

« Il y a deux ans, ces salles d’attente étaient pleines à craquer », note un cadre de la Sonef qui a souhaité rester anonyme. C’était assurément une autre ère. A l’époque, le flux migratoire qui traversait le Niger pour la Libye, plate-forme de projection vers l’Europe, ne cessait d’enfler. Parmi les 180 000 migrants ayant réussi à atteindre en 2016 les côtes italiennes à partir de la Libye – ce que les experts appellent la « route de la Méditerranée centrale » – environ 75 % avaient transité par le Niger en provenance de l’Afrique centrale et occidentale.

Le bâton et la carotte

Les dirigeants européens, en butte à la montée des courants populistes et anti-migrants au sein de leur opinion publique, ont tenté d’endiguer le phénomène en multipliant les pressions sur ces pays de transit, aux premiers rangs desquels la Libye et le Niger. Niamey s’est ainsi vu promettre par l’Union européenne (UE) une enveloppe de 140 millions d’euros en 2016 pour démanteler les filières de passeurs et trouver des activités de substitution aux communautés locales qui vivaient de cette économie migratoire (routiers, logeurs, restaurateurs, etc.). Une politique mêlant la carotte et le bâton que le gouvernement nigérien est censé assumer.

Pour l’heure, c’est surtout le bâton qui se manifeste, la reconversion économique prenant du temps. Les effets de cette fermeté accrue, qui se fonde juridiquement sur une loi anti-migration illégale datant de 2015 (mais jusque-là appliquée avec un certain laxisme), sont tangibles, notamment sur le circuit dit « classique » qu’empruntaient jusque-là les migrants.

Pour preuve, la léthargie qui caractérise aujourd’hui la ligne Niamey-Agadez de la compagnie Sonef. La cité d’Agadez, « capitale » du pays touareg nigérien, située à près de 700 km au nord-est de Niamey, est le grand carrefour où convergent les migrants affluant des pays de la région avant de s’embarquer à bord de camions ou de pick-up vers le désert libyen, désert de tous les périls. La fréquentation de ce segment Niamey-Agadez est donc un bon indicateur de l’intensité du flux migratoire provenant de l’Afrique subsaharienne. Les chiffres fournis par la Sonef attestent sans ambiguïté d’un tarissement, le nombre de passagers enregistrés sur cette ligne ayant chuté en 2017 de 30 % à 40 % par rapport à 2015. « Le gouvernement contrôle désormais plus efficacement », commente le cadre de la compagnie de transport.

Le fléchissement est encore plus net chez Azawad, l’un des concurrents de Sonef. Le logo de la compagnie – une gazelle – s’étale avec fierté sur le flanc des bus chinois Zhongtong, de plus en plus populaires au Niger, car ils coûtent trois fois moins cher que les MCV Mercedes-Benz. Ici, à Azawad, on a le sens des relations publiques. « A notre aimable clientèle » : ainsi débutent poliment les avis aux voyageurs scotchés sur la vitre du guichet. Cela n’a pourtant pas suffi à enrayer la désaffection de la ligne Niamey-Agadez qui, faute de passagers, a dû fermer il y a cinq mois. C’est qu’il est de plus en plus difficile pour des migrants venant du Sénégal, de Côte d’Ivoire, de Gambie ou de Guinée d’embarquer à bord de bus sur cette ligne.

Véhicules de brousse

Signe du durcissement ambiant, les voyageurs ne peuvent plus acheter un ticket sans présenter une pièce d’identité – document dont beaucoup sont dépourvus. Les compagnies de transport préfèrent leur refuser ce ticket plutôt que d’encourir des tracas sur la route d’Agadez de la part de la police, qui multiplie les contrôles. Au fil des mois, le message est passé. « Les migrants d’Afrique de l’Ouest viennent de moins en moins à Niamey, car ils savent qu’il leur sera difficile d’accéder à Agadez », souligne Ali T., un responsable de la compagnie Azawad.

Niamey, le 30 octobre 2017. Les voyageurs attendent le bus qui partira dans la nuit à destination d'Agadez. Depuis l'application de la loi interdisant le passage des migrants vers la Libye, l'économie liée au transport des voyageurs a largement diminué, en particulier sur l'axe Niamey-Agadez. / SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE »

Le verrouillage croissant de l’accès à Agadez par cette route principale ne signifie pas pour autant que tous les migrants renoncent. Certains persistent à tenter leur chance en empruntant des voies secondaires à bord de véhicules de brousse, plus précaires. « Couper une route dans une région au passé de caravaniers est absurde, objecte un humanitaire basé à Niamey. Nombreux sont les migrants qui continueront d’essayer. Le vrai résultat, c’est de les exposer davantage au danger sur des routes plus risquées. »

Quand l’Europe renvoie la crise migratoire de l’autre côté de la Méditerranée

Pour raconter les conséquences en Afrique de la nouvelle approche de l’Union européenne sur les flux de migrants qui tentent de rallier le Vieux Continent, six journaux européens – Politiken, Der Spiegel, Le Monde, El Pais, La Stampa et The Guardian – s’associent pour partager leurs reportages.