La cour d’assises spécialement composée pour juger la complicité du frère de Mohammed Merah et de Fettah Malki. / PHILIPPE WOJAZER / REUTERS

C’est un de ces procès-fleuves qui remettent la France face à l’un des épisodes douloureux de son passé. Depuis plusieurs semaines, le palais de justice de Paris discute de la culpabilité d’Abdelkader Merah, poursuivi pour complicité des assassinats terroristes commis par son frère Mohamed Merah en mars 2012 à Montauban et à Toulouse. Un autre homme, Fettah Malki, qui a reconnu avoir fourni un soutien logistique à Mohamed Merah, est aussi jugé.

Jeudi 2 novembre, les deux hommes connaîtront le verdict de la cour. La décision est désormais entre les mains de Franck Zientara, président de la cour d’assises spécialement composée, et des quatre magistrates professionnelles qui l’entourent depuis le 2 octobre. L’épilogue d’un moment de justice marqué, lui-même, par dix épisodes principaux.

  • Lundi 2 octobre : les visages découverts

En ce lundi matin d’octobre, deux hommes sont présentés dans le box des accusés. Abdelkader Merah, « le frère », cheveux longs attachés derrière la nuque. Celui à qui le surnom « Ben Ben » a collé à la peau, en rappel de ses cris de soutien à l’ancien chef d’Al Qaida Oussama Ben Laden dans le quartier des Izards, à Toulouse, en 2001. Et « l’autre », Fettah Malki, jugé pour avoir fourni un pistolet-mitrailleur et un gilet pare-balles à Mohamed Merah.

Derrière ces deux hommes, pourtant, un seul visage transparaît. Celui de l’auteur de sept assassinats en mars 2012 à Toulouse et à Montauban, lui-même abattu par le RAID dans la foulée de ces tueries. Dans les esprits, dans les débats, dans la majeure partie des cent dix-sept tomes du dossier que l’on aperçoit empilés au fond de la salle Voltaire du palais de justice, c’est son procès aussi qui semble se vivre.

Un procès indispensable pour les familles des victimes, mais qui semble aussi vouloir faire porter un chapeau trop grand pour eux à Abdelkader Merah et à Fettah Malki, dont le président de la Cour a jugé utile de rappeler à plusieurs reprises qu’ils étaient « présumés innocents ». Telle est l’ambivalence de ce procès : à la fois indispensable et impossible.

  • Mardi 3 octobre : l’impossible climat apaisé

Au deuxième jour du procès, le vœu de « climat apaisé et de dignité » formé la veille par le président de la cour a fait long feu. Les accrochages sont d’emblée très vifs, la séance suspendue sans que la mise au point dans le bureau du président parvienne à calmer la situation.

Visée par des insultes lancées des bancs des parties civiles, la mère d’Abdelkader Merah se rend devant les caméras pour expliquer que « c’est vrai que ce que Mohamed a fait, c’est pas bien, (…) mais il est mort, on ne va pas juger une autre personne qui n’a rien fait ».

  • Mercredi 11 octobre : le policier anonyme

Yacov Soussan est un ancien bénévole de l’école Ozar Hatorah de Toulouse. Kippa sur la tête, la gorge nouée parfois, mais sans larmes, il raconte à la barre les trente-six secondes des « exécutions » qu’il a vues se dérouler sous ses yeux ce 19 mars 2012.

Son arrivée sur les lieux à 7 h 55, cinq minutes avant la prière matinale. L’homme au casque qui traverse la rue et abat Jonathan Sandler et ses deux enfants, Arié et Gabriel, 5 et 3 ans, avant de tirer à bout touchant sur Myriam Monsonego, 8 ans, qui avait fait demi-tour pour ramasser son cartable perdu dans sa fuite.

Interrogé par l’avocat des parties civiles après ce récit, Abdelkader Merah utilise pour la première fois depuis mars 2012 le mot « honte » pour qualifier les actes de son jeune frère.

Abdelkader Merah, le 20 octobre devant la cour d’assises spéciale. / BENOIT PEYRUCQ / AFP

  • Lundi 16 octobre : le renseignement sur le banc

L’ancien directeur régional du renseignement a décliné la proposition de déposer sous la protection de l’anonymat, comme il en avait le droit. Son propos, teinté d’amertume, n’en a que plus de force. Devant la cour d’assises, Christian Balle-Andui livre un témoignage fort sur celui qui est passé entre les mailles du filet, alors qu’il avait été détecté tôt par les services de renseignement.

  • Mercredi 18 octobre : la famille Merah

Quand Zoulikha Aziri, la mère, a appris que c’était son petit dernier, Mohamed, qui avait tué trois militaires, grièvement blessé un quatrième et abattu à bout portant trois enfants de 8, 5 et 3 ans et le père de deux d’entre eux devant l’école juive Ozar-Hatorah de Toulouse, elle a déclaré : « Mon fils a mis la France à genoux. »

Devant la cour d’assises spéciale, Zoulikha Aziri dépeint, dans une salle sous tension, l’image idyllique d’un accusé « gentil à la maison », pratiquant « un islam normal », quand des proches ont décrit sa violence et son prosélytisme salafiste. Son attitude, jugée insupportable, provoque la colère des parties civiles. Devant cette même cour, Abdelkader Merah résume : « Notre monde et le vôtre sont tellement différents… »

  • Mardi 24 octobre : « Leçons de djihadisme »

Comment être un bon moudjahid ? La question a vivement intéressé Abdelkader Merah, comme le prouve la vingtaine d’heures de « leçons de djihadisme » qu’il écoutait sur son iPod.

Lesquelles font l’objet de longues discussions lors de cette journée d’audience, la cour d’assises cherchant à savoir s’il les a partagées avec son frère pour influer sur son passage à l’acte. Le prévenu, dont c’est le dernier interrogatoire, nie catégoriquement. Les avocats de la partie civile sont eux persuadés du contraire.

  • Mercredi 25 octobre : les larmes

La salle Voltaire du palais de justice de Paris est en larmes. A la barre, où se succèdent les proches des victimes de Mohamed Merah, on pleure. Sur les bancs du public, on pleure. Sur ceux des parties civiles, on pleure. Sur ceux de leurs avocats, sur ceux des avocats d’en face, sur ceux de la presse, on pleure.

Latifa Ibn Ziaten, mère du premier soldat tué par Mohammed Merah à Montauban en 2012. / GONZALO FUENTES / REUTERS

Même Fettah Malki, l’un des deux accusés, ne cesse de regarder ses pieds et de se frotter le nez avec un mouchoir. Deux visages restent de marbre : celui de la statue de Marianne, derrière la cour ; et celui d’Abdelkader Merah, derrière la vitre de son box.

Samuel Sandler a perdu son fils Jonathan et deux petits-fils, Arié et Gabriel, de 5 et 3 ans, dans l’attaque de l’école juive de Toulouse. Sous les yeux de ­celui qu’il qualifie de « petit ­Eichmann de quartier », il fait le parallèle entre les crimes de ­Merah et les crimes nazis, à ­propos ­desquels il cite André ­Malraux : « Pour la première fois, l’homme a donné des leçons à l’enfer. »

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  • Lundi 30 octobre : la perpétuité requise

La peine maximale. « Je vous demande de condamner Abdelkader Merah à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de vingt-deux ans », a dit l’avocate générale, Naïma Rudloff, qui venait d’achever son réquisitoire en s’adressant ainsi aux cinq magistrats professionnels de la cour d’assises. Contre son voisin dans le box, Fettah Malki, poursuivi pour avoir fourni une arme et un gilet pare-balles au tueur, l’avocate générale a requis vingt ans de réclusion, avec une peine de sûreté des deux tiers.

L’avocate générale a invoqué la désormais célèbre taqiya, cet art de la dissimulation, pour expliquer la difficulté à réunir des preuves tangibles, et a cité Mahomet : « La guerre, c’est la ruse. » Les familles des victimes de Mohamed Merah n’en attendaient pas moins.

  • Mardi 31 octobre : l’appel au « courage judiciaire »

Cinq heures de plaidoiries, trois avocats. Archibald Celeyron, Antoine Vey et Eric Dupond-Moretti se sont employés à soulever plus de doutes quant à la culpabilité d’Abdelkader Merah que le réquisitoire de la veille n’avait acté de certitudes. Tous se sont engouffrés dans les failles d’un dossier qui est apparu plus fragile que jamais.

« Abdelkader Merah est à 140 m du vol pour lequel il est accusé. Peut-on condamner quelqu’un pour un vol alors qu’il est à 140 m ? Il encourt la réclusion à perpétuité pour le vol d’un scooter qu’il n’a jamais touché. »

Me Dupond-Moretti dénonce « l’acharnement » contre son client, coupable de substitution idéal pour les familles des victimes. Puis il fait appel au « courage judiciaire » : « Personne ici ne risque rien. Nous n’avons aucune excuse pour ne pas faire ce que notre conscience nous dit de faire. »

Eric Dupont-Moretti, avocat de la défense, le 2 novembre. / GONZALO FUENTES / REUTERS

  • Jeudi 2 novembre : le dernier plaidoyer d’innocence

C’était sa dernière possibilité de s’exprimer avant le verdict. Juste avant que la cour d’assises se retire pour délibérer, Abdelkader Merah prend la parole :

« Je dis et je redis que je n’ai rien à voir avec les assassinats commis par mon frère. »