Selon un rapport du Sénat, le nombre de mineurs isolés pourrait atteindre « 25 000 d’ici à la fin de l’année, soit une multiplication par deux en un an ». / MEHDI FEDOUACH / AFP

Assise dans la véranda de la longère où elle habite depuis deux ans, Maya feuillette l’album photo réalisé par sa famille d’accueil. On la voit ici devant la mer, là souffler les bougies de son gâteau d’anniversaire… « Au début, le plus dur, c’était de ne pas du tout comprendre le français », se souvient l’adolescente.

Elle fait partie des « mineurs isolés étrangers », désormais appelés « mineurs non accompagnés », ces étrangers de moins de 18 ans entrés ou laissés seuls en France, sans leur famille. Majoritairement originaires d’Afrique, ils sont nombreux à venir chercher refuge dans l’Hexagone. Selon un rapport du Sénat de juin 2017, leur nombre pourrait atteindre « 25 000 d’ici à la fin de l’année, soit une multiplication par deux en un an ». Une hausse que les départements ont des difficultés à prendre en charge. A l’occasion du congrès annuel de l’Assemblée des départements de France, fin octobre, plusieurs présidents de départements ont exprimé leur inquiétude face au manque de moyens et de places dont ils disposent pour accueillir ces jeunes.

Manque de places

Arrivée de Mongolie avec une cousine éloignée en 2015, Maya (le prénom par lequel elle se fait appeler en France) vit chez Céline Lauer, une assistante familiale professionnelle qui habite près de Caen. Son métier : accueillir des mineurs aux situations familiales compliquées – ce qu’elle fait depuis quatre ans : « Mais avec de jeunes étrangers, c’est très différent, c’est un choc des cultures. »

Dans le Calvados, seuls 3,6 % des 250 mineurs non accompagnés sont placés chez des assistants familiaux. Dans de nombreux départements, le taux est faible. Même chose dans la Vienne, avec 6,8 %, les autres étant logé en hôtels, en foyers, en Maisons d’enfants à caractère social…

Le placement en famille d’accueil des jeunes étrangers isolés permet d’offrir un cadre et une possibilité d’intégration importante, une protection aussi pour les plus jeunes ou les filles. Alors pourquoi y en a-t-il si peu ? Son développement rencontre plusieurs obstacles.

D’abord, tous ne souhaitent pas intégrer ce dispositif d’accueil – certains ayant par exemple la sensation de « trahir » leur famille biologique en acceptant. Du côté des conseils départementaux, cela peut s’expliquer par différents facteurs : les problèmes de recrutement des assistants familiaux, le manque de places en général dans les familles d’accueil vers lesquelles on va orienter en priorité les plus fragiles, notamment les enfants les plus jeunes, alors que les mineurs étrangers isolés sont souvent de garçons qui ont entre 15 et 18 ans…

« Et puis, il faut trouver une famille ouverte, qui accepte de recevoir un jeune avec une culture très différente », ajoute Céline Hébert, l’éducatrice spécialisée qui suit le parcours de Maya. « J’ai des collègues qui n’en veulent pas », explique Sandy C., assistante familiale dans les Bouches-du-Rhône.

« Démarche citoyenne »

Pour surmonter ces difficultés, certains départements, comme la Vienne ou la Loire-Atlantique, ont mis en place des dispositifs d’accueil dans des familles bénévoles. Un système préconisé par le rapport du Sénat pour les mineurs étrangers ne présentant pas de problèmes particuliers, puisqu’il permet d’allier « pour le département, adéquation de la prise en charge et allégement du coût financier ». Contrairement aux assistants familiaux, ces bénévoles reçoivent uniquement une compensation pour les frais engagés.

« Ce dispositif s’inscrit dans le cadre d’une démarche citoyenne. Cela permet aux mineurs non accompagnés d’être scolarisé, d’améliorer leur français… », affirme le président du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, le socialiste Mathieu Klein. Dans son département, ce système d’accueil bénévole a été mis en place il y a deux ans à titre expérimental.

Mais là aussi, il a fallu surmonter certains obstacles : sur les 98 familles à s’être déclarées intéressées dans un premier temps, seules un quart ont confirmé leur volonté d’accueillir un jeune. Les autres se sont désistées, souvent en réalisant, lors de réunions d’information, qu’il ne s’agissait pas d’accueillir des enfants petits mais des mineurs plus âgés, au vécu souvent difficile ; qu’il faut accepter, aussi, de faire entrer dans sa vie de famille un jeune aux pratiques, à la culture et aux croyances parfois très différentes. « Quand ils arrivent chez nous, ils arrivent dans un autre monde », confie une accueillante.

En Loire-Atlantique, Jean-Luc R. héberge bénévolement un Guinéen de 16 ans. Ce catholique est déjà allé plusieurs fois dans ce pays et s’attendait à des différences, notamment au niveau de la pratique religieuse, l’adolescent étant musulman.

« C’est un métier »

« Il doit faire ses prières cinq fois par jour. Comme il est à l’école, il en fait un peu plus le soir pour rattraper. Au début, c’était un peu gênant, on ne savait pas trop si on pouvait l’appeler ou si c’était le moment de la prière. » Et puis, il évoque des différences en matière d’hygiène corporelle et d’alimentation : « C’est là qu’on se rend compte qu’une bonne partie de ce qu’on mange est du porc. » Bon gré mal gré, la famille s’est adaptée et le jeune aussi : « Il n’a pas un passé facile et il a beaucoup de caractère, il nous testait au début, par exemple sur de petites règles comme celles de politesse. » A part quelques accrocs, Jean-Luc tire un bilan positif de son expérience.

« Il y a des jeunes qui ont du mal à se positionner, qui n’ont pas forcément intégré toutes les coutumes françaises », explique Maxime Boidin, directeur de l’enfance et des familles dans le département. Il chiffre à un peu moins de 20 % les accueils qui ont dû s’interrompre.

Dans la Vienne, où existe également un dispositif bénévole depuis le début de l’année, environ un quart des seize accueils ont dû s’interrompre. Un jeune, par exemple, « était dans une exigence très importante vis-à-vis de la France, et le bénévole qui l’hébergeait l’a ramené », raconte Frédéric Pierre, directeur de l’enfance et de la famille. Pour lui, l’accueil bénévole peut fonctionner pour de nombreux mineurs non accompagnés. Mais pas pour tous : « C’est un métier. »

Dans sa maison du Calvados, pour obtenir son diplôme d’Etat d’assistante familiale, Céline Bauer doit notamment réaliser un dossier sur un des enfants qu’elle accueille. Elle a choisi de parler de Maya. Elle évoque l’arrivée de la jeune fille chez elle, le fossé culturel à combler. Pas plus tard que cet été, quand elle a annoncé à l’adolescente qu’elle allait l’emmener en vacances, sa réaction l’a prise au dépourvu. « Elle n’a pas réagi du tout : ça m’a fait mal sur le coup. Ce manque d’expression par rapport à notre culture française, il faut apprendre à faire avec », souffle l’assistante familiale.