Hock Tan, PDG de Broadcom, et Donald Trump, jeudi 2 novembre, à la Maison Blanche, à Washington. / Evan Vucci / AP

C’est une visite qui prend désormais tout son sens. Quatre jours après avoir été reçu par Donald Trump à la Maison Blanche, jeudi 2 novembre, et avoir promis de rapatrier son domicile fiscal aux Etats-Unis, Broadcom a lancé, lundi 6 novembre, une offre publique d’achat (OPA) sur Qualcomm. Le fabricant de composants électroniques, actuellement installé à Singapour, propose 130 milliards de dollars (112,2 milliards d’euros), dette comprise, pour s’emparer de son rival américain. Une opération record sur le secteur des nouvelles technologies, qui nécessitera le feu vert de l’administration Trump.

Avant cela, Broadcom devra d’abord convaincre les actionnaires de Qualcomm d’accepter son offre. La partie risque d’être serrée. Si le groupe de San Jose (Californie) indique, dans un communiqué, qu’il va « examiner la proposition », il devrait, selon la presse américaine, repousser les avances de son concurrent. Au moins pour faire monter les enchères, estimant que les 70 dollars offerts par action, qui représentent une prime de 28 % par rapport au cours boursier du 2 novembre, ne reflètent pas sa véritable valeur.

« Nous sommes déterminés à travailler avec Qualcomm pour trouver un accord mutuellement bénéfique », assure Hock Tan, le PDG de Broadcom. En cas d’échec des négociations, le responsable se dit prêt à aller jusqu’à l’épreuve de force. « Nous n’avons éliminé aucune option », prévient-il. La société pourrait en particulier tenter de faire élire des administrateurs favorables à son offre. A Wall Street, la prudence reste de mise : lundi, l’action de Qualcomm a terminé la séance à seulement 62,52 dollars.

Un portefeuille de produits « hautement complémentaires »

S’il parvient à ses fins, M. Tan se retrouvera à la tête du numéro trois mondial des semi-conducteurs, derrière Intel et Samsung. La nouvelle entité vaudrait plus de 200 milliards de dollars en Bourse, avec un chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 milliards de dollars. Elle offrirait un portefeuille de produits « hautement complémentaires », assure le patron de Broadcom. Qualcomm fournit principalement les processeurs mobiles Snapdragon et des puces 4G qui équipent les iPhone d’Apple et la majorité des smartphones Android haut de gamme, dont ceux de Samsung. Son potentiel acheteur est davantage spécialisé sur les puces Wi-Fi, Bluetooth et Near Field Communication.

Cette opération constituerait une nouvelle étape dans le processus de concentration entamé en 2014. Le secteur est en plein essor : les smartphones, les objets connectés, les voitures sans conducteur ou les centres de données intègrent des puces de plus en plus sophistiquées. Une tendance renforcée par le développement de l’intelligence artificielle. Et, bientôt, par l’arrivée de la 5G, le futur Internet mobile. La production a ainsi du mal à suivre l’envolée de la demande, provoquant une hausse des prix. Sur un marché concurrentiel, qui nécessite d’importants investissements en équipements de pointe et en recherche et développement, les grands acteurs se sont lancés dans une course à l’armement.

Procédures judiciaires

L’actuel Broadcom est lui-même né du rachat, en 2015, de son prédécesseur par le groupe américano-singapourien Avago Technologies, dirigé par M. Tan, pour 37 milliards de dollars. La société tente actuellement de finaliser l’acquisition de Brocade pour près de 6 milliards. Mais elle a dû renoncer en juin aux puces mémoires du japonais Toshiba, qui devraient tomber dans l’escarcelle du consortium soutenu par Apple et Dell. De son côté, Qualcomm va dépenser 47 milliards pour mettre la main sur le néerlandais NXP, qui avait racheté, il y a deux ans, l’américain Freescale. En 2015, Intel a mené la plus importante acquisition de son histoire, en signant un chèque de 17 milliards de dollars pour Altera. Et le japonais Softbank s’est offert, en 2016, le britannique ARM pour 31 milliards.

Face au refus annoncé de Qualcomm, M. Tan mise sur les nuages qui s’amoncellent au-dessus de sa cible. La société est notamment engagée dans un conflit avec Apple, qui perdure depuis des mois et qui affecte ses performances financières. Le concepteur de l’iPhone l’accuse de prélever des redevances trop élevées pour l’utilisation de ses technologies. Le différend est au cœur de plusieurs procédures judiciaires. Selon le Wall Street Journal, Apple serait prêt à prendre les devants, étudiant la possibilité d’utiliser des composants produits par Intel pour ses prochains terminaux.

Abus de position dominante

L’entreprise est également dans le collimateur des autorités de la concurrence. Cet été, elle a été condamnée à verser une amende de 773 millions de dollars à Taïwan pour abus de position dominante. En début d’année, elle avait aussi été sanctionnée par le gendarme sud-coréen, qui lui avait infligé une amende de 865 millions de dollars. Il y a deux ans, elle avait dû payer près de 1 milliard de dollars en Chine. En outre, des enquêtes sont en cours en Europe et aux Etats-Unis. Cette accumulation de défaites « ouvre la voie à un changement de modèle économique ou à des renégociations de contrats », anticipe Stacy Rasgon, analyste chez Bernstein. Des incertitudes qui pourraient pousser certains actionnaires à se satisfaire de l’offre de Broadcom.

La société devra également convaincre les autorités de la concurrence aux Etats-Unis, en Europe, mais aussi en Chine. « Ce rachat permettrait à Broadcom d’occuper une position de leader sur l’ensemble des composants à haute valeur », souligne M. Rasgon. Si ses dirigeants vont certainement proposer de vendre certaines activités pour lesquelles les deux entreprises sont actuellement rivales, les déboires de Qualcomm pourraient jouer en leur défaveur. En revanche, en revenant aux Etats-Unis, Broadcom va lever un obstacle de taille : obtenir l’aval du Comité pour l’investissement étranger américain, qui bloque depuis un an le rachat de Brocade.

Les chiffres

130 milliards

C’est le montant, en dollars, que propose Broadcom pour racheter Qualcomm. Il s’agirait de la plus importante acquisition sur le secteur technologique, devant les 67 milliards dépensés en 2016 par Dell pour acheter EMC.

406 milliards

C’est, en dollars, le montant des opérations de fusions et acquisitions annoncées dans le secteur des semi-conducteurs depuis 2015, selon les décomptes de Dealogic.

8,4 %

C’est la part de marché combinée de Qualcomm (4,5 %) et de Broadcom (3,9 %) en 2016, selon les estimations du cabinet Gartner. Seuls Intel et Samsung font mieux.

– 15 %

C’est la chute de l’action Qualcomm entre le lancement d’une procédure judiciaire par Apple, le 20 janvier, et les premières rumeurs d’intérêt de Broadcom, le 3 novembre.