Harvey Weinstein œuvrait depuis l’automne 2016 pour étouffer les révélations sur ses abus sexuels présumés. C’est ce qu’a affirmé le New Yorker lundi 6 novembre, en détaillant les moyens colossaux utilisés par le producteur américain. Selon l’article, ce dernier a employé ni plus ni moins une « armée d’espions » pour empêcher, en vain, l’éclatement du scandale qui secoue Hollywood depuis un mois.

D’après le New Yorker, M. Weinstein a eu recours à des journalistes de la presse à scandale, voire à des agents secrets d’entreprises comme Kroll, l’une des plus grandes sociétés de renseignement au monde, ou Black Cube, essentiellement composée d’anciens agents du Mossad ou d’autres agences de renseignement israéliennes. L’hebdomadaire américain cite des dizaines de documents et sept personnes directement impliquées dans les efforts du producteur déchu.

Ancienne agent israélienne pour Rose McGowan

L’article détaille ainsi le rôle d’une ancienne agente israélienne, employée de la société Black Cube, dont le contrat prévoyait au moins 200 000 dollars d’honoraires. Elle avait notamment contacté l’actrice Rose McGowan, l’une des principales accusatrices d’Harvey Weinstein, en prétendant être une militante pour les droits des femmes. En secret, elle a enregistré en secret des heures de conversations avec l’actrice, qui s’apprête à publier ses mémoires, The Brave, un livre qui inquiétait déjà M. Weinstein depuis des mois.

Pour discréditer les accusations de Rose McGowan, la société Kroll a par ailleurs envoyé à M. Weinstein onze photos où l’actrice et le producteur apparaissaient ensemble à l’occasion de différents événements, des années après son agression présumée.

Sous une autre fausse identité, l’agent de Black Cube qui s’était renseigné sur Mme McGowan a par ailleurs contacté des journalistes enquêtant sur les agressions sexuelles présumées de M. Weinstein, notamment un reporter du magazine New York, Ben Wallace, pour connaître les informations dont ils disposaient.

Mais Harvey Weinstein et son équipe ont également enquêté sur les reporters eux-mêmes, y compris sur leur vie personnelle et sexuelle, leurs précédentes enquêtes et potentiels litiges, pour tenter de les contredire, les discréditer ou les intimider. Son équipe d’espions a notamment rassemblé des éléments sur l’ex-femme de M. Wallace.

Avocats et presse à scandale impliqués

L’article affirme que M. Weinstein, aujourd’hui visé par des enquêtes policières à Londres, New York et Los Angeles, « surveillait personnellement les progrès de ces enquêtes ». Certaines étaient orchestrées par ses avocats. Parmi eux, David Boies, notamment célèbre pour avoir défendu Al Gore lors du litige sur le scrutin présidentiel de 2000 et pour avoir plaidé en faveur du mariage gay devant la Cour suprême.

M. Boies aurait personnellement signé le contrat mandatant Black Cube pour essayer d’empêcher la publication d’une information du New York Times sur les abus sexuels de M. Weinstein. Pourtant, le cabinet de David Boies – qui nie tout conflit d’intérêts – défend par ailleurs le Times dans un procès pour diffamation.

Enfin, le New Yorker affirme qu’Harvey Weinstein a également obtenu des informations de journalistes de la presse à scandale. C’est le cas de Dylan Howard, directeur des contenus d’American Media Inc., qui publie le magazine de ragots National Enquirer. L’un des journalistes du National Enquirer a notamment appelé l’ex-femme d’un réalisateur ayant eu une relation amoureuse avec Rose McGowan, Roberto Rodriguez, pour lui soutirer des commentaires négatifs sur la comédienne.

Anciens employés recrutés pour intimider

La porte-parole de M. Weinstein, Sallie Hofmeister, a évoqué une « conspiration » et a déclaré au New Yorker : « C’est une fiction de suggérer que des personnes aient pu être visées ou aient fait l’objet d’efforts d’intimidation. »

La célèbre avocate de célébrités Blair Berk, qui fait partie de l’équipe légale de M. Weinstein, a décrit ces méthodes comme ordinaires. « Tout avocat de défense au pénal qui se respecte enquêterait sur des allégations non prouvées pour savoir si elles sont crédibles. »

Ronan Farrow – le fils de Mia Farrow et Woody Allen –, l’auteur de l’article du New Yorker et journaliste à l’origine des révélations, précise en effet que ces pratiques sont courantes chez M. Weinstein : depuis des années déjà, il utilisait des détectives pour enquêter sur les journalistes qui écrivaient des articles critiques envers lui.

Mais, dans le cas des accusations d’agressions sexuelles, Harvey Weinstein est allé plus loin. Le New Yorker écrit que certains de ses anciens employés ont été recrutés sous le prétexte de faire des recherches pour un livre sur « les belles années de Miramax », la maison de production cofondée par Harvey Weinstein et son frère Bob. En réalité, ils ont été utilisés pour rassembler des listes d’anciens employés et d’actrices, pour les contacter, et pour les intimider.