L’enquête des « Paradise Papers » a pour effet de remettre le projet de liste noire des paradis fiscaux en haut de l’agenda européen. Mardi 7 novembre, les ministres de l’Union européenne, réunis à Bruxelles en conseil pour les affaires économiques et financières (Ecofin) ont inscrit le sujet en catastrophe au menu de leur réunion (à la demande de la France), à la suite des « Paradise Papers ».

Les « Paradise Papers » en 3 points

Les « Paradise Papers » désignent la nouvelle enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et ses 96 médias partenaires, dont Le Monde, soit 400 journalistes de 67 pays. Ces révélations s’appuient sur une fuite de documents initialement transmis, en 2016, au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung par une source anonyme.

Cette nouvelle enquête permet de lever le voile sur les mécanismes sophistiqués d’optimisation fiscale dont profitent les multinationales et les grandes fortunes mondiales.

Les « Paradise Papers » sont composés de trois ensembles de données, qui représentent au total près de 13,5 millions de documents :

  • 6,8 millions de documents internes du cabinet international d’avocats Appleby, basé aux Bermudes mais présent dans une dizaine de paradis fiscaux.
  • 566 000 documents internes du cabinet Asiaciti Trust, installé à Singapour.
  • 6,2 millions de documents issus des registres confidentiels des sociétés de dix-neuf paradis fiscaux : Antigua-et-Barbuda, Aruba, Bahamas, Barbades, Bermudes, Dominique, Grenade, îles Caïman, îles Cook, îles Marshall, Labuan, Liban, Malte, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Samoa, Trinité-et-Tobago, Vanuatu.

Annoncée pour le 5 décembre, cette liste n’est pas arbitrée et devrait encore faire l’objet de vifs débats et controverses entre Etats membres, notamment de la part du Royaume-Uni qui abrite sous son pavillon de nombreux centres financiers offshore.

Selon nos informations, une douzaine de pays sont actuellement dans le collimateur de l’Union européenne. Ils pourraient bien se retrouver fichés d’ici un mois, lors de l’adoption de la liste par le Conseil européen, s’ils ne modifient pas leur politique fiscale d’ici là. Il s’agit en particulier de l’île de Man, des îles Caïmans, des îles Marshall, des Bermudes et des îles Turks-et-Caïcos. Pour beaucoup, des territoires placés sous la tutelle britannique.

Les pays de l’UE ne feront pas partie de la liste

Ces juridictions cumulent en effet deux points négatifs : un régime fiscal trop agressif, ciblé par le paquet de mesures anti-optimisation fiscale des multinationales BEPS (pour Erosion de la base d’imposition et transfert des bénéfices) ; des taux d’imposition zéro sur le profit des sociétés (ou inexistant). Bruxelles veut surtout sanctionner les pays qui permettent les boîtes à lettre, les activités sans aucune substance économique derrière.

A la clé d’un tel fichage devraient figurer des sanctions, telles que l’inégibilité des Etats fichés à l’obtention de fonds européens (notamment ceux de la Banque européenne d’investissement), un point qui lui aussi continu à être débattu par les 28 pays membres de l’Union.

D’autres pays sont susceptibles de rejoindre cette liste noire. De fait, le très opaque « groupe Code de conduite », qui est chargé d’élaborer une proposition de liste noire, a passé en revue 92 juridictions. Sur ce total, en sus des douze pays déjà cités, 41 possèdent un régime fiscal agressif. Ils posent donc également problème. Et huit n’ont jamais répondu aux sollicitations européennes. Certains au Conseil et à la Commission voudraient que ces pays soient listés d’office.

Il a en tout cas été décidé que les pays de l’Union ne feraient pas partie des Etats susceptibles de figurer sur la liste : pas question que Malte, les Pays-Bas ou l’Irlande se retrouvent un jour pointés du doigt…

Associer à la liste des sanctions crédibles

Le groupe « code de conduite » est une émanation du Conseil européen composé d’experts nationaux, qui a récupéré début 2017 les travaux liés à l’établissement de la liste européenne des paradis fiscaux. Il devrait encore se réunir deux ou trois fois d’ici au 5 décembre. La commission continue à mener les travaux sur un plan technique, mais « le processus est clairement politique », selon une source proche des discussions, et contrôlé au niveau des Etats membres.

L’enjeu pour la Commission est d’aboutir, au plus tard d’ici la fin de l’année, à une liste un peu plus consistante que celle de l’OCDE, qui ne contient que Trinidad et Tobago. Elle espère qu’elle sera prête pour le 5 décembre, afin d’être endossée par les ministres des finances de l’Union européenne qui se réunissent en Ecofin ce jour-là. « Vu la pression médiatique actuelle, ce serait vraiment difficile de ne pas être au rendez-vous », estime un expert bruxellois.

La Commission espère aussi, et peut-être surtout, qu’à la liste soient associées des sanctions « crédibles ». Outre leur nature, il s’agit de savoir si tous les pays de l’UE devraient appliquer les mêmes sanctions aux pays figurant sur la liste noire. A son arrivée à Bruxelles, mardi 7 novembre, pour l’Ecofin, Bruno Le Maire, ministre de l’économie français, a proposé que parmi les sanctions figure l’impossibilité pour les pays d’accéder à des aides du FMI ou de la Banque mondiale.

Les pays menacés d’être fichés (les 12, mais aussi les 41 autres) doivent désormais envoyer des informations complémentaires en urgence. « Les pays qui seront sortis de la liste, le seront à condition que leurs responsables au plus haut niveau [ministres] prennent des engagements de meilleures pratiques à l’avenir », selon une source diplomatique proche des discussions. « Ces tractations sont les plus opaques que j’ai jamais connues à Bruxelles », glisse une source européenne, pourtant habituée des sujets fiscaux.