Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour « menaces de mort » et « apologie publique d’un acte de terrorisme », lundi 6 novembre, après une plainte déposée par Charlie Hebdo. Dans son édition de mercredi, l’hebdomadaire satirique a publié un dessin intitulé : « Viol, la défense de Tariq Ramadan ». L’islamologue, récemment accusé de viols, y est représenté, le pantalon déformé par une impressionnante érection, trompetant : « Je suis le 6e pilier de l’islam ! »

Cette « une » a déclenché une tempête d’insultes et de menaces sur les réseaux sociaux. La rédaction de Charlie est habituée à ce type de réactions, mais ce nouveau déferlement l’a convaincue de porter plainte. Parmi les dizaines de messages visés, dont la plupart ont depuis été supprimés, on peut lire : « On va vous égorger » ; « Deuxième round à venir à Charlie » ; « Si personne se décide, moi j’irai » ; « Fiché S ou pas, je m’en fous, moi j’irai » ; etc.

Sur la page Facebook de l’hebdomadaire, d’autres messages étaient toujours visibles lundi soir [l’orthographe a été corrigée pour une meilleure compréhension] : « Finalement, les frères Kouachi [les auteurs de l’attentat de 2015 contre la rédaction] ont mal fait leur boulot. C’est normal vu qu’ils font partie du Mossad [une des agences israéliennes de renseignement] », ou encore : « Vos collègues qui sont morts, ils doivent se faire des blagues et des dessins, ahahahaha, ça doit bien s’amuser en bas, j’espère que vous irez bientôt les rejoindre. »

« Les mots précèdent toujours les actes »

Sollicité par Le Monde, Richard Malka, l’avocat de Charlie, explique que s’il s’agit avant tout de « violences verbales », certains messages sont « suffisamment précis » pour être pris au sérieux. Il s’inquiète du climat qui continue de peser sur la rédaction, près de trois ans après l’assassinat de huit de ses membres, le 7 janvier 2015 : « Ceux qui écrivent sont rarement ceux qui passent à l’acte. Mais les mots précèdent toujours les actes, ils créent un climat. »

Sur Europe 1, le successeur de Charb à la tête de Charlie, le dessinateur Riss, a précisé que les appels au meurtre n’avaient « jamais vraiment cessé ». « Mais c’est vrai que, parfois, il y a des pics où on reçoit sur les réseaux sociaux des menaces de mort explicites : c’est le cas, une fois de plus, a-t-il ajouté. Au-delà du sérieux de ces menaces de mort, c’est une question de climat, insiste-t-il. Ce n’est pas simplement de la contestation ou de la discussion, ce n’est même pas de l’injure, c’est au-delà de ça : c’est que maintenant, ça s’est banalisé d’appeler au meurtre. »

Sur la page Facebook de l’hebdomadaire, certaines critiques, plus modérées, dénoncent la collusion entre « viol » et « Islam » faite par le dessin : « Entre condamner le viol et condamner l’Islam vous en profitez en l’associant, Charlie Hebdo de merde ! » Sur Europe 1, Riss a justifié cette référence à la religion par le fait que Tariq Ramadan se présentait lui-même comme « un islamologue ».

Océan de partis pris

La rédaction a parfois pris la peine de répondre sur Facebook à ceux de ses détracteurs qui délaissaient le registre de l’insulte pour argumenter. « J’aimerais bien voir le même sujet sur Weinstein, hein Charlie Hebdo. Humour sélectif, l’islam vend mieux, pas un pervers juif déjà condamné », écrit un internaute. « Nous avons fait une couverture sur Harvey Weinstein (qui lui non plus n’a pas encore été condamné) il y a deux semaines », lui répond l’hebdomadaire.

Les échanges entre internautes témoignent de l’irréductible fracture entre pro et anti Charlie. Dans le flot des insultes, quelques rares oasis de pondération : « Cette caricature de Ramadan est superbe ! Elle est super-rigolote ! Je suis musulman et je n’en suis pas choqué, je n’ai aucune raison de l’être ! Ramadan n’est pas un prophète que je sache ! Et même s’il l’était ! Ras le bol de ces décérébrés et endoctrinés qui se mettent à insulter et menacer comme si on a insulté leur mère !!! »

Et au milieu de la tempête, ballotté dans cet océan de partis pris, la lassitude d’un athée : « Pas scandalisé. Pas admiratif non plus. Fatigué. Lorsqu’on sait que 63 % des gens vivant en France n’ont pas de religion (dont je suis) et que sur les 37 % qui restent moins de 1 sur 4 sont pratiquants toutes religions confondues, fatigué, oui, de toutes ces couches remises les unes sur les autres. »