Les sénateurs ont adopté, mercredi 8 novembre, une version fortement remaniée du projet de loi de Nicolas Hulot, à l’avantage des industriels du secteur pétrolier et gazier. / Francois Mori / AP

La transition énergétique est, en France, un chemin semé d’embûches. Au lendemain de l’annonce, par Nicolas Hulot, de l’abandon de l’échéance de 2025 pour la réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix électrique, les sénateurs ont adopté – par 190 voix contre 141 –, mercredi 8 novembre, une version fortement remaniée, à l’avantage des industriels du secteur pétrolier et gazier, de son projet de loi sur la fin des hydrocarbures.

« Les arguments [mis en avant par les sénateurs], qui affaiblissent le texte, ne sont pas recevables si on se tourne vers l’avenir, a déploré le ministre de la transition écologique et solidaire, à l’issue du scrutin. Ici et ailleurs, nous nous entêtons à sacrifier l’avenir au présent. Je suis très inquiet, parce que nous sommes dans un moment déterminant. »

« Le texte a été défiguré par la majorité sénatoriale », a, de son côté, regretté Roland Courteau (PS, Aude). « Vous avez multiplié les dérogations, a-t-il lancé à l’adresse des élus de la droite et du centre. Autant de chevaux de Troie pour ceux qui veulent que rien ne change. »

Voté à une large majorité (316 pour, 69 contre) par les députés, le 10 octobre, ce texte revêt une importance particulière pour Nicolas Hulot. D’abord, parce qu’il s’agit de son premier projet de loi, qui a donc valeur de test politique. Ensuite et surtout, parce qu’il doit permettre, défend-il, de « désintoxiquer » la France des ressources fossiles et d’avancer vers « la neutralité carbone ». Cela, en programmant la fin, à l’horizon 2040, de la production de pétrole et de gaz sur le territoire métropolitain et ultramarin. Un enjeu largement symbolique puisque cette production (environ 800 000 tonnes de pétrole et 400 millions de mètres cubes de gaz en 2016) couvre à peine 1 % des besoins du pays.

Les coups de canif de M. Hulot à son projet initial

Lors de l’examen de son texte à l’Assemblée nationale, M. Hulot avait lui-même donné de premiers coups de canif à son projet initial, en accordant diverses exemptions aux industriels. Alors qu’au départ, toute prolongation des concessions actuellement en cours (au nombre de soixante-trois) était exclue, leur extension a été autorisée jusqu’à 2040.

En outre, cette date butoir a été supprimée pour les futures concessions qui seront accordées en vertu du « droit de suite » – selon lequel la prospection fructueuse d’un gisement donne automatiquement lieu à un titre d’exploitation –, dès lors que leur titulaire n’aura pas atteint « l’équilibre économique » lui permettant de couvrir les frais engagés. A ce jour, trente et un permis de recherche d’hydrocarbures sont en cours de validité en France.

Sans surprise, les sénateurs ont introduit de nouveaux assouplissements, qui réduisent encore la portée du projet de loi. Pour l’essentiel, ils ont entériné la version passée à la moulinette de la commission des affaires économiques du Sénat, à coups d’amendements déposés notamment par la rapporteure, Elisabeth Lamure (Les Républicains, Rhône). Cette commission explique, dans un communiqué publié sur le site de la Haute Assemblée, avoir « cherché à équilibrer le texte, en préservant la recherche pour ne pas insulter l’avenir, en limitant l’atteinte aux droits acquis et en autorisant les usages vertueux [des hydrocarbures] ».

De nombreuses dérogations

C’est ainsi qu’est instaurée une dérogation à l’arrêt de l’exploration des ressources fossiles, pour « la recherche publique réalisée à seule fin de connaissance géologique du territoire national, de surveillance ou de prévention des risques miniers ». De plus, l’échéance de 2040, pour les concessions obtenues par droit de suite, pourra être repoussée, si l’industriel n’a pas obtenu « une rémunération normale des capitaux immobilisés ». Une formulation plus favorable aux pétroliers que le simple « équilibre économique » retenu par les députés.

Surtout, dans la mouture concoctée par les sénateurs, la loi ne s’appliquerait qu’aux demandes de permis déposées après le 6 juillet, date de la présentation du plan Climat de Nicolas Hulot. Ce qui aurait pour effet de rouvrir grand le robinet des hydrocarbures. En effet, selon les chiffres de la commission, 73 demandes de titres d’exploration étaient en instruction au mois de septembre (dont 42 demandes d’octroi initial et 31 de prolongation), ainsi que quatorze demandes de titres d’exploitation (dont huit d’octroi initial et six de prolongation). Si toutes ces requêtes devaient être satisfaites, le projet de loi serait vidé de sa substance.

En séance, les sénateurs ont de surcroît introduit une dérogation supplémentaire pour les régions d’outre-mer. Celles-ci pourront, pour les titres miniers en mer, « renouveler une concession après 2040 et délivrer un permis exclusif de recherches ».

La messe n’est toutefois pas dite. Examinée en procédure accélérée, avec une seule lecture par chambre parlementaire, la loi Hulot sera soumise à une commission mixte paritaire de députés et de sénateurs. Un compromis étant des plus improbables, le texte reviendra alors devant l’Assemblée nationale, qui aura le dernier mot. Avant la fin de l’année si tout va bien, la – presque – fin de l’extraction pétrolière et gazière en France sera actée pour 2040. Une échéance certes lointaine, mais du moins mieux identifiée que celle de la baisse du nucléaire.