A Neuchâtel, en 2014. / SEBASTIEN BOZON / AFP

Près d’un citoyen suisse sur deux possède une arme à feu, ce qui place le pays en troisième position derrière les Etats-Unis et le Yémen : la Suisse abrite plus de 3,4 millions de pistolets et fusils, selon l’ONG Small Arms Survey, basée à Genève. Pourtant, malgré ces statistiques, la Confédération helvétique n’a pas souvent connu de tueries de masse comme celle qui a eu lieu dimanche 5 novembre dans une église baptiste au Texas, tuant 26 personnes et en blessant 20 autres.

Au pays de Guillaume Tell, les armes à feu ne sont impliquées que dans 18 % des homicides, d’après les chiffres de 2015 de l’Office fédéral de la statistique (OFS). L’un des derniers en date s’est produit le 5 août, dans le canton de Neuchâtel, où un homme a tué son ex-compagne et un ami. Les médias ont parlé de « drame familial ». En décembre 2016, une fusillade a éclaté dans le Centre islamique de Zurich, faisant trois blessés. En janvier 2013, un trentenaire abattait trois personnes dans le village valaisan de Daillon, dans les Alpes. Et en septembre 2001, un forcené ouvrait le feu dans le Parlement de Zoug, faisant 14 victimes.

Si la Suisse compte autant d’armes à feu, ce n’est pas que ses habitants ont un goût immodéré pour les revolvers. C’est avant tout parce que chaque citoyen possède un fusil au cas où il serait appelé à défendre son pays, dans la mesure où celui-ci ne compte qu’une armée de milice. « L’écrasante majorité des personnes armées en Suisse sont des militaires actifs ou sont rattachées à l’armée, ou alors ce sont des tireurs sportifs ou des chasseurs, précise le criminologue Martin Killias cité par le quotidien romand Le Temps. En dehors de ces deux catégories, c’est beaucoup plus rare. S’armer pour protéger sa famille est, par exemple, presque inexistant. »

Des porteurs d’armes « responsabilisés »

Dans la majorité des cas, les Suisses gardent cette arme chez eux, tandis que d’autres choisissent de la déposer dans un arsenal. Adrien, un employé au stand de tir Privatir, près de Lausanne, considère que les porteurs d’armes sont « responsabilisés. » Il accueille environ 20 personnes par jour et, pour lui, « les personnes violentes sont rares ». En outre, avec un taux de chômage de 3 %, le pays jouit d’une bonne santé économique et s’épargne les poches extrêmes de pauvreté qui prolifèrent aux Etats-Unis et qui permettent à la criminalité, et donc à la violence, de s’épanouir.

La loi suisse sur les armes est l’une des plus libérales en la matière. Un extrait de casier judiciaire vierge permet d’obtenir un permis d’acquisition d’arme. Une fois celui-ci en poche, il suffit de se rendre chez un armurier pour l’acheter, ainsi que des munitions. Il est interdit de circuler avec cette arme, mais son détenteur peut la conserver chez lui et l’utiliser dans un stand de tir. L’obtention d’une arme automatique ou d’un silencieux est elle aussi possible, à condition de demander un permis exceptionnel. Toutes ne sont pas enregistrées, ce qui complique le travail des forces de l’ordre, car il n’existe pas de registre national.

En revanche, les personnes de nationalité serbe, kosovare, algérienne ou encore sri-lankaise se voient systématiquement refuser leur demande d’acquisition d’armes. Cette liste rouge est régulièrement modifiée par le Conseil fédéral, le pouvoir exécutif suisse. Pour Adrien, l’employé du centre de tir Privatir, ouvert depuis 1984, ces interdictions de principe « seraient polémiques ailleurs ». « Mais chez nous, ajoute-t-il, le bon sens passe avant le politiquement correct. »

Le débat fait rage

Chez les passionnés de tir et dans les sociétés suisses de chasse, on défend ardemment le droit à posséder une arme, même si la Constitution helvétique ne le stipule pas, au contraire du deuxième amendement du texte fondamental américain. Le lobby des armes à feu se nomme Pro Tell. Proche de la droite dure, il « s’oppose à toutes restrictions de la possession d’armes par les citoyennes et citoyens responsables ». Le tout nouveau conseiller fédéral Ignazio Cassis, nommé début novembre, a abandonné son statut de membre une fois au pouvoir.

C’est qu’en Suisse, le débat fait rage : sous la pression des autorités européennes, qui durcit sa législation sur les armes à feu, Berne prépare une révision de sa propre loi. Les changements, qui seront bientôt soumis au Parlement, prévoient d’être mineurs : l’acquisition de fusils automatiques sera toujours permise et aucun registre national ne sera créé. Une autorisation spéciale sera cependant nécessaire pour acquérir une arme semi-automatique, et les armuriers auront des obligations accrues de déclarations afin d’améliorer la traçabilité.

« Je prie pour que ces nouvelles règles ne passent pas, affirme Adrien, chez Privatir. De toute façon, il y aura sûrement un référendum. » En 2011, le peuple avait refusé une initiative « pour la protection face à la violence des armes ». L’un des arguments principaux de la consultation était que le taux de suicide par arme à feu en Suisse est l’un des plus élevés d’Europe.