Souleyman, jeune Guinéen de 14 ans, attend de réunir les 800 000CFA (1200e) nécessaires pour partir en Italie via la Libye. Il est arrivé de la Guinée il y a 3 semaines. Dans un ghetto du quartier Tadresse. Agadez, le 6 novembre 2017. / SAMUEL GRATACAP POUR LE MONDE

Baccari Couly ne prête guère attention aux clameurs qui s’élèvent de la cour. Le jeune migrant est trop concentré sur son récit, poignant, douloureux : l’histoire d’un rêve européen brisé en Libye.

Tout à l’heure, il sortira rejoindre ses compagnons qui tapent le ballon dans la poussière du centre de transit de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Agadez, la « capitale » du pays touareg, dans le nord du Niger. Mais pour l’instant, il est sagement assis dans la pénombre d’une pièce. Visage maigre, habillé d’un survêtement, il narre sa pathétique odyssée avec force détails, impatient de tout dire afin que le monde sache « l’enfer » qui sévit en Libye. « Une fois que tu franchis la frontière de ce pays, le piège se referme sur toi, soupire-t-il. Après, tu ne peux plus sortir. »

Le Sénégalais de 25 ans est à bout. Il a renoncé à son projet de franchir la Méditerranée. Il a même laissé tomber toute idée de rester en Libye pour y grappiller quelques revenus. C’est fini, il veut maintenant rentrer chez lui. Il est arrivé fin octobre à Agadez, en provenance d’Algérie, après s’être échappé du chaos libyen. Il a frappé à la porte du centre de l’OIM quand il a appris que l’organisation offrait aux migrants des « retours volontaires » dans leur pays d’origine.

Tentatives de fraudes

Face aux difficultés croissantes de la traversée de la Libye, où la violence infligée aux migrants – principalement des Subsahariens – est systématique, ces rapatriements suscitent apparemment un intérêt grandissant chez les candidats désenchantés à l’exil européen. D’Agadez, ville où convergent les migrants refoulés d’Algérie ou fuyant la Libye, les retours au pays natal sont passés de 1 700 en 2015 à près de 5 100 en 2016. Le chiffre devrait être encore supérieur en 2017 (il était déjà de 4 500 de janvier à septembre).

A Agadez, des observateurs mettent toutefois en garde contre d’éventuelles distorsions dans ces statistiques dues à des tentatives de fraudes motivées par l’assistance financière dont les migrants peuvent bénéficier. « Il y a parmi eux des gens qui ne reviennent ni d’Algérie ni de Libye mais qui arrivent directement de leur pays d’origine, en Afrique centrale ou en Afrique de l’Ouest, et se font passer pour des migrants déçus », met en garde un responsable d’Agadez.

Le centre d’accueil et de transit de l’Organisation internationale pour les migrations, à Agadez, dans le nord du Niger, le 4 novembre 2017. / SAMUEL GRATACAP POUR LE MONDE

Les « vrais » migrants désireux de s’arracher des griffes d’une Libye de plus en plus inhospitalière – la violence ambiante se conjuguant aux pressions européennes sur les municipalités de départ le long du littoral de la Tripolitaine, telle Sabratha – n’en sont pas moins en nombre croissant.

Baccari Couly est l’un d’entre eux. Il avait quitté le Sénégal en 2015. Sapeur-pompier à Dakar, il était le seul titulaire d’un emploi salarié au sein de sa famille élargie et il ne supportait plus les pressions qui s’exerçaient sur lui. « Mon grand-père a trois femmes, raconte-t-il. Mon seul salaire devait nourrir deux maisons. Je ne pouvais plus assumer une telle charge. » Il a donc cédé à la tentation du voyage vers l’Europe.

Enchaînement de violences

Une fois la frontière de la Libye franchie à partir du Niger, Baccari Couly a été broyé par « l’enfer ». Sa traversée libyenne ne fut qu’un enchaînement de violences subies dans des prisons sauvages, propriété de gangs de racketteurs. « Ils torturaient à l’électricité », se souvient-il. A chaque étape, il doit payer une rançon, s’ajoutant à l’argent déboursé pour payer des passeurs qui en général l’arnaquent. Son épargne conservée au Sénégal finit par s’épuiser.

Une tentative d’embarquement près de Tripoli à bord d’un pneumatique se solde par un naufrage dont il réchappe miraculeusement mais qui coûtera la vie à plusieurs dizaines de passagers. De guerre lasse, le jeune Sénégalais se résigne à quitter la Libye. Par précaution, il décide cette fois de transiter par l’Algérie. Là, la violence l’épargne mais lui et ses compagnons d’infortune devront marcher des centaines de kilomètres car les bus croisés dans les localités refusent de les embarquer. « Les chauffeurs disaient qu’ils avaient reçu pour instruction de ne pas prendre les Noirs. »

A Agadez, dans le nord du Niger, le 6 novembre 2017. / SAMUEL GRATACAP POUR LE MONDE

Le voilà maintenant à Agadez. Baccari Couly incarne un phénomène nouveau : le reflux, la renonciation au projet migratoire. Volontaire dans son cas personnel, un tel retour est le plus souvent forcé pour les migrants installés en Algérie et que les autorités expulsent en nombre croissant ces derniers mois. Selon la police d’Agadez, 4 175 migrants ont été expulsés du territoire algérien du 26 août au 27 octobre. Dans leur écrasante majorité, ces expulsés sont des Nigériens qui, dans le cadre de la migration « circulaire », vivaient et travaillaient en Algérie sans aucun projet de se rendre en Europe.

A Agadez, les deux flux se croisent : ceux qui descendent vers le sud, migrants désenchantés, et ceux qui montent vers le nord, candidats à l’exil aux rêves intacts. A ce stade, les seconds demeurent encore bien plus nombreux que les premiers.

Sommaire de notre série Quand l’Europe renvoie la crise migratoire de l’autre côté de la Méditerranée

Pour raconter les conséquences en Afrique de la nouvelle approche de l’Union européenne sur les flux de migrants qui tentent de rallier le Vieux Continent, six journaux européens – Politiken, Der Spiegel, Le Monde, El Pais, La Stampa et The Guardian – s’associent pour partager leurs reportages.