Dans le canal de la Giudecca, à Venise, le 8 novembre. / Andrew Medichini / AP

Ces scènes, photographiées à l’infini, sont devenues le symbole des ravages du tourisme de masse sur Venise. A la belle saison, le ballet peut se répéter cinq ou six fois par jour : des navires de croisière géants, transportant plusieurs milliers de passagers, descendent au ralenti le canal de la Giudecca, avant de déboucher sur le bassin de Saint-Marc, en face du palais des Doges, et de s’éloigner lentement en direction de la passe du Lido, pour retrouver l’immensité de la mer Adriatique.

Depuis le pont supérieur de ces navires, on domine les toits de la ville, et le spectacle est sans pareil. Mais, vu du sol, c’est autre chose : le sentiment qui domine est surtout la peur de l’accident, ou la colère à l’idée que la répétition du passage de ces monstres des mers entraîne des dommages irréparables sur les fondations des palais et des églises qu’ils frôlent, moteurs à l’arrêt.

Lundi 6 novembre, à Rome, le comité interministériel pour Venise, réunissant cinq ministères et les principaux élus locaux, a tranché : à partir de 2019, les navires de moins de 130 000 tonnes resteront autorisés à entrer dans la lagune, mais ils devront emprunter le chemin des pétroliers et navires de commerce rejoignant le site de Porto Marghera, sur le continent, tandis que seuls les navires de moins de 96 000 tonnes seront autorisés à accoster à la station maritime de la ville. La descente du canal de la Giudecca restera autorisée, mais seulement aux bateaux de taille plus modeste (moins de 55 000 tonnes, trois fois moins que la limite actuelle).

Cette solution adoptée à la quasi-unanimité des personnes concernées – seul le maire (Mouvement 5 étoiles) de Chioggia, la ville de l’extrémité sud de la lagune, a voté contre – répond à la volonté d’apaiser les habitants de la lagune, mais aussi à l’impératif de ne pas nuire au tourisme, devenu au fil des années la principale ressource de la ville – voire la seule. Car en débarquant, ne serait-ce que quelques heures, près de 1,5 million de touristes chaque année, les navires de croisière procurent à la ville des revenus considérables : selon la mairie, les « grandi navi » permettent le maintien de 5 000 emplois. Une manne à laquelle il est difficile de renoncer alors que Venise se dépeuple à un rythme accéléré (1 000 personnes en moins chaque année, moins de 55 000 habitants en 2016).

Du côté de l’opposition municipale et des écologistes, on souligne les conséquences environnementales de ce choix, qui obligera à creuser et élargir le canal Victor-Emmanuel reliant Porto Marghera à la station maritime, ce qui entraînera immanquablement des dommages sur l’hydrologie très sensible de la lagune. On fait aussi valoir que, tant que les recours ne seront pas épuisés et les travaux achevés, le statu quo prévaudra. Et on soupçonne le maire Luigi Brugnaro et le gouvernement de chercher surtout à répondre à la colère de la population, tout en gagnant un peu de temps.