Au lendemain du premier tour de la présidentielle au Liberia, le 10 octobre, tout semblait sourire à George Weah. Depuis, le processus électoral s’est enlisé, un front anti-Weah se dessine et tout se complique pour lui.

L’ancienne star du football auréolé d’un statut d’idole nationale avait largement pris la tête du premier tour avec 39 % des voix, soit dix points d’avance sur son poursuivant direct, Joseph Boakai, politicien vieillissant à bientôt 73 ans et vice-président sortant, comptable du bilan peu reluisant des douze ans d’Ellen Johnson Sirleaf passés à la tête de l’Etat. Battu en 2005 par « Mum Ellen » – ancienne de Harvard, de l’ONU et de la Banque mondiale –, l’ancien enfant indigent qui désertait les bancs de l’école pour vendre du pop-corn à la criée a enrichi son CV d’un diplôme en management obtenu en 2011 dans une institution privée américaine. Agé aujourd’hui de 51 ans, élu sénateur en 2014, il a gagné en expérience. En résumé, la route vers la Mansion, le palais présidentiel dominant le front océanique, se dégageait pour lui avant un second tour programmé le 7 novembre.

Des alliances indispensables

Mais le chemin est truffé de mines. La veille de cette finale électorale, la Cour suprême a en effet ordonné de suspendre le processus électoral, reportant le second tour de plusieurs semaines. Et faisant poindre le risque d’annuler purement et simplement le premier tour. Les juges ont en effet ordonné à la Commission nationale électorale (NEC) d’examiner les recours déposés par Charles Brumskine. Arrivé troisième au premier tour, le candidat du Parti de la liberté dénonce des « fraudes massives et systématiques », que les nombreux observateurs étrangers ou journalistes déployés sur le terrain n’ont, quant à eux, pas vues.

Ce report signifie que les concurrents de George Weah disposent dorénavant de plus de temps pour s’organiser, monter des alliances et briser sa dynamique. L’ancien footballeur savait, dès les résultats du premier tour, qu’il aurait à résoudre un problème arithmétique élémentaire. Pour gagner, à taux de participation égal (75 %), il lui faut trouver les 11 % d’électeurs qui lui permettraient d’obtenir la majorité. Pour se faire, George Weah doit s’attirer les faveurs des électeurs qui ont voté pour les autres candidats en octobre. Il y en avait dix-neuf, en plus de lui, mais trois d’entre eux comptent plus que les autres : Charles Brumskine (9,6 %), Prince Johnson (8,2 %) et Alexander Cummings (7,2 %). Cumulées aux voix recueillies par les deux finalistes George Weah et Joseph Boakai, il y a là 92,2 % des suffrages exprimés.

L’ancien footballeur, né au sein de l’ethnie Krou, à cheval sur le Liberia et la Côte d’Ivoire, a reçu le soutien d’un autre « native »mot utilisé pour décrire les Libériens d’origine par opposition aux « congos ». Ces Américano-Libériens descendants d’esclaves affranchis aux Etats-Unis sont à la fois les pères fondateurs du Liberia, première République africaine indépendante au XIXe siècle, et ceux, aussi, qui établirent un système d’apartheid au détriment des natives.

« Lui, c’est le football, pas la politique »

Prince Johnson, donc, a annoncé son ralliement à George Weah. Cet ancien chef de milice aux mains couvertes du sang de la première guerre du Liberia (1989-1997) apporte en dote ses supporteurs du Nimba, son fief, deuxième bassin électoral du pays par son importance derrière le comté de Montserrado – la région de Monrovia. Prince Johnson, sénateur depuis plusieurs années, est en perte de vitesse dans son comté et rien ne dit que son appel sera suivi à la lettre.

Dans l’autre camp, l’alignement de Joseph Boakai avec les deux autres candidats malheureux pour contester les résultats ressemble à un embryon de coalition électorale. Chez ceux-là, les congos, véritable caste qui domine toujours la vie politique et économique du pays, George Weah a du mal à faire oublier son ancien statut. « Un chauffeur routier reste un chauffeur routier. Lui, c’est le football, pas la politique. Comment peut-il nous représenter à l’étranger alors qu’il parle mal anglais ? », nous expliquait un partisan de Joseph Boakai. C’est pour battre en brèche cette opinion largement partagée que George Weah a choisi pour colistière Jewel Cianeh Howard Taylor. Divorcée en 2006 de l’ex-président Charles Taylor – lequel a été condamné en 2012 à un demi-siècle de prison pour des « crimes contre l’humanité » commis par ses hommes en Sierra Leone – cette sénatrice, ancienne banquière, est, pour George Weah, une sérieuse caution.

Mais ses détracteurs soulignent aussi le flou entourant son programme. Celui-ci ressemble davantage à un catalogue de bonnes intentions – lutter contre la corruption, gratuitiser l’enseignement, développer les infrastructures et le système de santé, etc. – qu’à un plan d’action détaillé, chiffré, indispensable pour développer un pays qui ne s’était pas encore remis de quatorze années de guerres civiles (200 000 morts entre 1989 et 2003) lorsqu’il a été frappé par l’épidémie d’Ebola en 2014, faisant 4 000 victimes.

Self-made-man politique

Et puis il y a l’argent, le nerf de la politique au Liberia où le clientélisme est roi. Certes, la présidente sortante ayant utilisé les deux mandats que la Constitution lui autorise ne se représente pas. Joseph Boakai s’est d’ailleurs plaint durant la campagne du manque de soutien de celle qui l’avait choisi comme vice-président. Mais, dans un régime où l’institution présidentielle concentre l’essentiel des pouvoirs, jusqu’aux plus petites nominations de fonctionnaires en province, Joseph Boakai possède un argument de poids. Celui de la peur pour inciter les gens à choisir la continuité et non le changement synonyme de redistribution des postes et des prébendes si George Weah gagne. Une peur distillée auprès de tous ceux qui font vivre leurs familles nombreuses grâce à leur emploi, dans la fonction publique, d’enseignant, de policier, d’infirmier, alors que des bataillons de jeunes se morfondent au chômage.

Certes, c’est précisément dans les rangs des démunis, et ils sont légion au Liberia, que George Weah, le self-made-man de la politique, compte le plus de supporters. Et dans les rangs de tous ceux qui jugent à sa juste valeur le bilan catastrophique des douze ans de gouvernance du parti de Joseph Boakai et rêvent de changement. Encore faut-il que l’ancienne star du football convertisse en vote cette somme de mécontentement, une fois le calendrier électoral précisé, face à des adversaires rompus au clientélisme politique.