Jade et Jérémy discutent devant l’entrée de la résidence Pont-de-Bois, dans la banlieue de Lille (Nord). / CAROLINE PAIN / « Le Monde »

A l’arrière de la résidence universitaire Pont-de-Bois, dans la banlieue de Lille, les habitants profitent de la douceur de l’automne pour faire sécher leurs serviettes aux fenêtres. Quelques notes de musique s’échappent d’un des studios. Un étudiant passe la tête par la fenêtre et regarde ses voisins rentrer de l’université. Le quartier est résidentiel, mais le campus de la faculté de sciences humaines de Lille-III n’est qu’à quelques minutes à pied. En arrivant, certains saluent les quelques étudiants assis sur les marches, devant l’entrée. D’autres rentrent chez eux sans dire un mot.

C’est une cité U qui ressemble à beaucoup d’autres, mais il y a six mois, un résident y est mort d’une rupture d’anévrisme dans sa salle de bains, et son décès n’a été découvert que plusieurs jours après. Cet événement a bien entendu choqué les résidents, tout comme la façon dont certains médias s’en sont fait l’écho, décrivant un jeune étudiant de master isolé, accro aux jeux vidéo, pour justifier ce délai.

« Comme les logements sont individuels, nous ne pouvons pas pénétrer dans les studios des résidents sans autorisation, explique de son côté Emmanuel Parisis, directeur général du Crous, dont dépend la résidence. Mais quand ses parents, sans nouvelles, nous ont fait part de leur inquiétude, nous sommes allés voir. »

Aujourd’hui, la vie a repris son cours. Jade, inscrite en psychologie, et Jérémy, en langues et civilisations, n’ont pas oublié l’événement. Et même s’ils sont proches, ils se disent que ce qui s’est passé pour le jeune Normand mort aurait pu leur arriver. « On est amis, on se voit souvent ici, mais c’est vrai qu’il arrive qu’on ne se parle pas ou qu’on ne se voit pas pendant plusieurs jours, voire des semaines, témoigne la jeune femme. C’est comme une famille, on sait qu’on est là si besoin, mais on ne prend pas forcément des nouvelles. »

A les entendre, de même que d’autres habitants, une résidence étudiante n’est pas un internat : on se croise, on se rencontre, des liens peuvent parfois se créer, mais pour ces jeunes adultes, vivre ici est aussi synonyme de vie privée et d’autonomie.

Le confort au détriment du lien ?

La configuration des lieux s’y prête. Dans les résidences des Crous construites récemment ou rénovées, comme celle de Pont-de-Bois, les salles de bains et les cuisines partagées par plusieurs chambres ou un étage complet n’ont plus cours. « Les seules salles communes sont pour le travail ou pour le loisir. C’est une politique nationale, explique Emmanuel Parisis. Chacun a ce qu’il lui faut dans son studio, chacun se gère. » Stratégie qui, selon Hyppolite Assogbavi, gestionnaire de la résidence Pont-de-Bois fait « écho aux demandes des jeunes et à l’individualisation de la société ». Le confort au détriment du lien ?

Plusieurs étudiants se plaignent du manque de lieux collectifs : « Le Crous a fermé les deux salles communes et la passerelle qui relie les deux bâtiments, parce que c’était toujours dégradé, lâche un habitant qui vient de retrouver deux amis sur les marches devant la résidence. Nous, on s’est connu ici, on est amis, mais c’est triste de n’avoir que l’entrée du bâtiment pour se retrouver. L’été on traîne un peu, on joue au foot sur le parking. »

« Quand je suis arrivée, il y a quatre ans, se souvient de son côté Jade, on avait des soirées d’intégration, et on se retrouvait dans les salles communes, on rencontrait plein de gens. Mais maintenant, les salles ne sont plus accessibles parce qu’elles ont été vandalisées… »

Son ami Jérémy est correspondant Crous de la résidence, ce qui signifie qu’il est le relais de l’organisme sur place. Il déplore le manque de motivation des autres étudiants : « Même quand on propose des soirées sur la page Facebook de la résidence, on ne se retrouve souvent qu’à trois ou quatre. » A entendre Jade, les réseaux sociaux semblent aujourd’hui plus utiles pour diviser que pour rassembler : « Les gens s’en servent pour se plaindre, ça ne concentre que le négatif. »

La résidence Pont-de-Bois, à Villeneuve-d’Ascq (Nord). / CAROLINE PAIN / « Le Monde »

L’insécurité en cause

Pour Aline, étudiante en master d’arts, la principale préoccupation n’est pas l’isolement, mais l’insécurité, qui ne favorise pas les liens entre étudiants. Chaque porte d’entrée est équipée d’un détecteur de cartes étudiantes, qui ne laisse passer que les résidents. « Celui-ci fonctionne à nouveau depuis la semaine dernière. Mais ça fait des années que ça fonctionne mal, puisqu’ils sont trop vieux. N’importe qui peut alors entrer. Régulièrement, je vois des gens qui ne sont pas de la résidence à l’intérieur », explique Aline.

Des intrus, ils sont plusieurs à en avoir vus. Et selon Hyppolite Assogbavi, gestionnaire de la résidence, ce sont ces individus qui seraient à l’origine des dégradations à l’intérieur de la résidence. « Les détecteurs de cartes sont régulièrement vandalisés, de même que les portes, reconnaît-il. Et il arrivait souvent que des squatteurs se mettent dans les pièces communes. » C’est pour cette raison que ces salles étaient condamnées. Elles viennent cependant d’être de nouveau rendues accessibles aux étudiants, assure-t-il, « à condition qu’une personne en soit responsable, du début à la fin de l’activité ».

Le Crous explique avoir aussi entamé les démarches pour, selon ses termes, « résidentialiser » les bâtiments. Autrement dit, installer des clôtures et des portails verrouillés où chacun devra passer son badge pour entrer. « Les lumières du parking ont déjà été remplacées, avant ce n’était pas très sécurisant pour les étudiants de le traverser dans le noir », ajoute M. Parisis.

La lumière tombe doucement derrière les arbres qui entourent la résidence. Jérémy termine sa cigarette en discutant avec Jade. Tous deux espèrent que les travaux annoncés, qui devraient être terminés d’ici à décembre, permettront le retour d’une ambiance plus chaleureuse et plus d’attention entre les résidents.