L’ambiance était tendue pendant l’attente du prononcé du jugement, auquel assistaient trois des victimes, deux femmes et l’ancien délégué syndical. / Stephane Mahe/Reuters

Thalys, Eurostar… A la gare du Nord, à Paris, derrière ces prestigieux noms de lignes, des petites mains du nettoyage des trains subissaient des conditions de travail délétères. C’est ce qu’il ressort du jugement du conseil des prud’hommes de Paris rendu vendredi 10 novembre, qui a donné raison à cinq salariés ou ex-salariés, dont quatre femmes, ayant dénoncé des faits de harcèlement sexuel et moral et de discrimination au travail.

Leur employeur, l’entreprise H. Reinier, sous-traitante de la SNCF, a été condamnée à verser plusieurs centaines de milliers d’euros de dommages et intérêts à ces agents d’entretien. La filiale du géant du nettoyage Onet précise, selon son avocate Virginie Monteil, qu’elle se réserve « la possibilité de faire appel » après lecture des motivations de cette décision.

Ces agissements, ainsi que des pratiques de racket à l’embauche, commis notamment par des délégués SUD-Rail, qui ont été démandatés ensuite, avaient été dénoncés en 2012 par le plaignant, alors délégué CFDT. Son initiative avait marqué le début de ses ennuis, avait expliqué son avocate, Maude Beckers, lors de l’audience : menaces de ses collègues, sanctions disciplinaires, pétition organisée pour demander son départ et plusieurs tentatives de licenciement, dont la dernière a abouti en mai 2016.

Intervention du défenseur des droits

C’est parce que les quatre plaignantes avaient refusé de signer la pétition demandant son départ que deux chefs d’équipe s’en étaient pris à elles, toujours selon MBeckers. Les plaignantes avaient relaté des « gestes obscènes » des hommes à qui « il est déjà arrivé de se frotter contre » elles, ou une collègue « enfermée dans une pièce » et qui subit des « attouchements », ou bien encore un chef qui « touche son sexe au-dessus de son pantalon en mimant des bruits sexuels ».

L’Association européenne contre les violences faites aux femmes (AVFT) ainsi que SUD-Rail étaient parties intervenantes volontaires au procès. Fait rare, le défenseur des droits avait pris la parole à l’audience, estimant « établies » par son enquête les « allégations de harcèlement sexuel, de représailles et de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ».

L’entreprise H. Reiner tient, de son côté, « à souligner que le groupe n’a pas attendu cette décision pour mettre en œuvre des mesures fortes en matière de prévention des risques et d’information : un audit complet et approfondi sur les risques psychosociaux, confié à un prestataire extérieur, a été réalisé sur le site », dont les résultats « ont permis de définir un plan d’action d’amélioration continue ».

Ambiance tendue

Dans son jugement, le conseil des prud’hommes relève aussi que « les mesures prises pour protéger les quatre salariées concernées ont été totalement inexistantes et les mesures de prévention insuffisantes ». « L’employeur a pris le parti délibéré de ne leur accorder aucun crédit et de les sanctionner de façon systématique après la dénonciation des faits », rapporte encore le jugement. Ainsi, certaines mutations ou certains changements d’horaire imposés « ont eu pour effet de les maintenir ou de les remettre en contact avec ceux qu’elles dénonçaient », peut-on lire dans le jugement.

L’ambiance était tendue pendant l’attente du prononcé du jugement, auquel assistaient trois des victimes, deux femmes et l’ancien délégué syndical. Les salariés avaient saisi le conseil des prud’hommes le 24 décembre 2014. Le 10 février 2016, l’affaire avait été renvoyée en audience dite « de départage » (avec un juge professionnel), les conseillers prud’homaux n’ayant pas pu dégager une majorité de voix pour rendre une décision. L’une des femmes s’est évanouie quand a circulé une rumeur selon laquelle le procès était perdu, avant que le prononcé ne vienne la contredire.

« Ils étaient un peu sonnés par cette décision et moi aussi, relate Nazima Benbabaali, déléguée syndicale SUD-Rail SNCF Paris Nord, chargée depuis janvier 2013 du suivi des salariés de H. Reinier de l’agence Landy où travaillent ces personnes. Il y avait de la joie chez elles d’être enfin reconnues comme victimes, après tant de souffrances et d’humiliations, tant de fausses accusations, tant d’attente. Cela a été un choc pour elles, mais positif. »