Quatre-vingt-dix-neuf ans après être tombé au champ d’honneur, le 25 octobre 1918, le tirailleur kanak Kalepo Wabete est rentré mercredi soir sur sa terre natale. Sa dépouille a été exhumée le 2 novembre de la nécropole nationale de Flavigny-le-Petit, dans l’Aisne, avant d’être rapatriée aux frais de l’Etat en Nouvelle-Calédonie. Pour la famille du soldat, ce retour est l’aboutissement de près de trente années de démarches qui, à un an du centenaire de l’Armistice et du référendum d’autodétermination, prévu en novembre 2018 sur le Caillou, prennent une dimension toute particulière.

« Lui qui n’était pas citoyen français, car soumis au statut de l’indigénat [en vigueur jusqu’en 1946], est parti mourir pour la France. Aujourd’hui, on parle de destin commun en Nouvelle-Calédonie. Je suis fier de l’exemple de Kalepo Wabete », confie Emile Wabete, petit-neveu du tirailleur. Vendredi, en prélude à une veillée du corps par des soldats des forces armées de Nouvelle-Calédonie, une longue cérémonie ouverte au public aura lieu dans la salle Kowe Kara, à l’entrée de Nouméa, en présence de la famille et des autorités coutumières, politiques, religieuses et militaires. Samedi 11 novembre, un hommage particulier sera rendu au tirailleur lors de la traditionnelle commémoration au monument aux morts de Nouméa, puis le cercueil de Kalepo Wabete s’envolera en direction de son île natale, Tiga. Sur ce confetti de l’archipel des Loyauté, où vivent une centaine de personnes, les célébrations prendront une couleur plus mélanésienne avec une offrande coutumière à la chefferie de Tiga suivie d’une inhumation au cimetière.

Trois semaines avant l’Armistice

Quelque 2 000 Calédoniens ont pris part à la Grande Guerre, dont 1 075 Kanaks, qui s’engagent à partir de 1916. Certains volontairement ou par goût de l’aventure, d’autres sont désignés par leurs grands chefs sous la contrainte de l’administration coloniale, qui exige des quotas d’hommes. « Je pense que, dans le cas de ma famille, c’est le rôle de l’Eglise qui a été prépondérant. Cependant, Kalepo n’était pas destiné à partir. C’est son frère qui le devait, mais comme il était marié et avait déjà un enfant, Kalepo n’a pas voulu qu’il s’en aille. Il a pris sa place, il s’est sacrifié », rapporte, ému Jacques Wabete, autre petit-neveu du soldat.

Agé de 27 ans, le jeune Kalepo quitte la Nouvelle-Calédonie à bord du Gange en juin 1916 et est affecté au bataillon mixte du Pacifique. « Il a mené deux campagnes. L’une du 4 août au 8 novembre 1917 sur le front de l’Aisne puis à partir de juin 1918, où il prend part à deux batailles : celle du Matz dans l’Oise puis celle de la Serre pour la prise du village de Vesles-et-Caumont (Aisne) », explique Sylvette Boyer, docteure en histoire et spécialiste de cette période.

L’historienne, qui a travaillé au côté de la famille Wabete, a pu reconstituer les circonstances de la mort de Kalepo Wabete, le 25 octobre 1918, soit moins de trois semaines avant l’Armistice. « On l’a trouvé blessé sur le champ de bataille de Vesles-et-Caumont, probablement à la ferme du Petit-Caumont. Il est mort dans un hôpital de campagne », témoigne-t-elle, ajoutant que le jeune Kanak s’était distingué tout au long de son engagement « par un comportement exemplaire ». Cela lui valut d’ailleurs d’être décoré de la Croix de guerre avec une citation à l’ordre du Bataillon, en septembre 1918.

En Nouvelle-Calédonie, où la coexistence pacifique entre les communautés demeure un chantier en cours, la mémoire des tirailleurs kanaks morts pour la France a été tardivement saluée. Il a fallu attendre 1999 pour que, sur insistance du maire de Nouméa et président du gouvernement de l’époque, Jean Lèques, les noms des 384 soldats kanaks morts pour la France soient inscrits au fronton du monument aux morts de la capitale. Jusqu’alors, seuls ceux des 193 Calédoniens d’origine européenne y figuraient. Le retour de Kalepo Wabete chez lui devrait apporter une nouvelle pierre à la réconciliation des mémoires calédoniennes.