Un distributeur de la banque de l’île de Man, le 8 novembre 2017. / PAUL ELLIS / AFP

Tandis que « l’affaire Bronfman », révélée dimanche 5 novembre par le Consortium
international des journalistes d’enquête (ICIJ), continue de faire l’objet de critiques
virulentes à la Chambre des communes, de nouvelles révélations touchent la Banque de Montréal et deux jeunes millionnaires canadiens. Le premier ministre canadien, en voyage officiel en Asie du Sud-Est depuis lundi, a pour sa part absout son ami Stephen Bronfman à distance. L’ancien trésorier de sa campagne électorale et actuel chef de financement du Parti libéral a été identifié par l’ICIJ en lien avec un trust dans les îles Caïman, ayant utilisé des moyens douteux pour éviter de payer des impôts au Canada, ce que l’intéressé a démenti lundi.

La Banque de Montréal (BMO) est désormais sur la sellette. D’après Radio-Canada/CBC, membre de l’ICIJ, de hauts dirigeants de cette grande banque privée canadienne ont modifié, selon les « Paradise Papers », des règles de gouvernance – réduction de membres de CA – pour pouvoir conserver une filiale aux Bermudes en 2013. BMO a acquis en 2011 Lloyd George Management (LGM), une société d’investissement en Asie, immatriculée aux Bermudes avec une adresse au cabinet d’avocats Appleby. La banque a reconnu que LGM n’avait « aucun client actif » aux Bermudes mais affirme avoir mis en place « une surveillance pour assurer le respect des lois ».

Radio-Canada/CBC ont par ailleurs publié jeudi deux enquêtes « Paradise Papers » touchant de jeunes millionnaires québécois. David Baazov, surnommé le « roi du poker en ligne », est mis en cause pour avoir enregistré une trentaine de sociétés à l’île de Man avec l’aide d’Appleby. Julien Lavallée, un autre trentenaire qui a fait fortune dans la revente de billets de spectacles en Amérique du Nord et en Europe, est pointé du doigt pour la création de la société I Want Ticket Inc à l’île de Man, tout en faisant de la revente de tickets sur le site britannique StubHub.uk. Le 25 octobre dernier, M. Lavallée a dissous sa filiale de l’île de Man. StubHub a indiqué à CBC que ses « vendeurs de confiance respectaient les plus hautes normes et toutes les lois ».

Echanges houleux à Ottawa

Le soutien de Justin Trudeau à Stephen Bronfman n’a pas calmé les esprits à Ottawa. « On a eu des assurances que tout était conforme », a déclaré le premier ministre depuis Hanoï, s’en disant « satisfait », ce qui a soulevé l’ire de l’opposition à la Chambre des communes. Le Nouveau Parti démocratique a réclamé une enquête sur les Paradise Papers et la convocation de M. Bronfman en comité parlementaire.

Le manque de transparence de l’Agence du revenu du Canada, responsable de la lutte à l’évasion fiscale, est aussi dénoncé. Le député conservateur Guy Caron critiquait jeudi lors de la période de questions au gouvernement sa « culture du secret ». Tout comme le sénateur Percy Bowne, ex-chef de cabinet du premier ministre libéral Jean Chrétien, qui tente sans succès depuis des mois d’obtenir d’elle un bilan de ses pertes en revenus fiscaux. Elles sont évaluées à « 10 à 15 milliards par an » par l’association Canadiens pour une fiscalité équitable et à 47 milliards par le Conference Board. En comparaison, les vérifications effectuées depuis deux ans auprès de grandes entreprises devraient permettre de récupérer 25 milliards de dollars, a chiffré Ottawa, mais seulement les deux tiers l’ont été jusqu’à présent, selon l’agence elle-même.

M. Trudeau a admis mercredi que « beaucoup de travail restait à faire pour contrer l’évasion fiscale » au Canada. La ministre du revenu Diane Lebouthillier a renchéri jeudi en déclarant que « personne n’est au-dessus des lois » et que « chacun doit payer sa juste part » d’impôts. L’avocat fiscaliste de Toronto David Kirzner estime cependant que le gouvernement ne dépense pas assez pour lutter contre l’évasion fiscale. Le premier ministre a indiqué lundi que l’agence concernée avait reçu un milliard de dollars depuis deux ans mais elle n’en aurait dépensé que 40 millions l’an passé.

Dans le concert des réactions aux Paradise Papers, le milieu des affaires canadien a été plutôt discret. Stephen Jarilowsky, 92 ans, à la tête de sociétés de placement et d’une des plus grosses fortunes du Canada (1,75 milliard de dollars) a été l’un des seuls à prendre la parole. Il affirmait jeudi, dans le Journal de Montréal, n’avoir lui-même « jamais mis d’argent dans les paradis fiscaux » et invitait les « super-riches » à plus de rigueur. Soulignant qu’il « reste beaucoup à faire pour s’attaquer aux problèmes éthiques de l’industrie », il demandait du même souffle au gouvernement canadien de mettre fin au « surtaxage des personnes qui créent des entreprises et de la prospérité au Canada ».