Tribune. Monsieur le ministre de la transition écologique et solidaire, cher Nicolas Hulot, allez sur YouTube. Tapez « cerf abattu ». Regardez la vidéo. Avez-vous jamais vu une pareille dignité ? Le regard impavide, la tête haute, le souffle âpre, le cerf a cessé de fuir.

Se croit-il en sécurité dans le jardin de ce coquet pavillon en bordure de la forêt de Compiègne ? A-t-il compris que tous ceux qui sont sortis de chez eux pour le voir et qui s’agglutinent devant les grilles de la maison, veulent qu’il vive ? A-t-il entendu le sanglot angoissé de cette enfant qui implore qu’on le laisse tranquille ? Hélas. Quelques gendarmes et un maître d’équipage plus tard, le sang du cerf ruisselle sur les dalles blanches de la rue de la Vénerie – quelle prédestination ! – à Lacroix-Saint-Ouen, dans l’Oise.

Nous sommes des dizaines de milliers de Français sous le choc de cette vidéo. Et nous sommes des millions de Français à être bouleversés par la souffrance animale. Mais, puisque cette émotion nous est reprochée, tentons d’aborder la question de la chasse à courre avec l’exigence de la rationalité.

Une chasse à courre ce sont des cavaliers, les veneurs, accompagnés de chiens courants, les chiens d’ordre, et d’hommes à pied avec leurs chiens de recherche, les limiers. Le gibier (cerf, chevreuil, sanglier, renard…) est traqué pendant des heures. Lorsque l’animal épuisé est piégé, les chasseurs sonnent l’hallali. La bête meurt sous l’effet des innombrables morsures de la meute et/ou des coups de dague de l’un des chasseurs.

Officiellement un loisir sportif

Les praticiens de la chasse, tout comme les historiens, racontent que la vénerie est une très ancienne tradition française. C’est vrai. Le roi François Ier, par exemple, en était fou. Au point de gagner le surnom de « Père de la vénerie ». Il l’a en effet transformée, codifiée et consacrée, ô paradoxe, en art de « vivre ».

En 1561, un gentilhomme du Poitou, un certain Jacques du Fouilloux, écrivait dans son traité à la gloire de Charles IX – un autre de nos rois chasseurs : « La meilleure science que nous pouvons apprendre (après la crainte de Dieu) est de nous tenir et entretenir joyeux… je n’en ai trouvé plus noble et plus remarquable que l’art de la vénerie. »

Comprenez bien : la chasse à courre appartient depuis toujours à l’univers du loisir, pas à celui du besoin. Ce divertissement était, avec son luxe d’équipages, d’armoiries et de festins, le meilleur moyen d’occuper les hommes en période de paix, et d’entretenir chez eux courage, adresse et… instinct belliqueux ! Chasse à courre, loisir, guerre étaient en réalité indissociables.

Et aujourd’hui ? La chasse à courre est pratiquée dans la plupart des départements français. C’est officiellement un loisir sportif. Il existe d’ailleurs un lien organique entre la Société française de vénerie, qui régit la pratique de la chasse à courre, et la Fédération française d’équitation. Comme c’est étrange.

Destruction et pulsion de mort

Qui pourrait nier que notre époque a inventé un nombre incalculable de sortes de loisirs ? Et qu’il est facile de trouver des sports qui nécessitent des qualités proches de celles du veneur ? Habileté équestre, sens de la stratégie, esprit d’équipe. On songe au polo, au horse-ball, et à bien d’autres spécialités.

Certes, nous répondent les veneurs, mais ce serait oublier que la spécificité de la chasse à courre est d’être en « immersion totale dans la nature ». La belle affaire ! N’existe-t-il pas pléthore d’activités en relation avec la nature qui offrent des plaisirs d’observation et de découvertes au moins aussi intenses ?

Mais alors, que manque-t-il à ces distractions pour satisfaire nos veneurs ? La proie. La destruction. La pulsion de mort. Ce qu’éveille la chasse à courre, c’est l’instinct de prédation. On vous répondra que ce sont les chiens qui poursuivent et qui tuent, et que chez eux la prédation est innée. Mais là est bien la perversité extrême de la vénerie : le sadisme est transmis, la cruauté est déléguée. En allemand, chasse à courre se dit « Parforcejagd »(préfixe en français dans la langue de Goethe) : la « chasse par force », et notamment par la force du dressage et du conditionnement des chiens.

La force, c’est aussi ce que nous sommes aujourd’hui nombreux à demander aux veneurs : la force de réfléchir sur leurs propres pulsions mortifères, celle de considérer qu’ils contribuent à entretenir le goût de la guerre. Mais Freud nous a appris la difficulté, voire l’impossibilité, à supprimer le penchant humain à l’agression. C’est pourquoi, bien souvent, il n’y a pas d’autre solution que de le canaliser par la loi. Monsieur le ministre de la transition écologique et solidaire, cher Nicolas Hulot, cette pratique déshonore notre pays, abolissez-la !