Anthony Belleau (en bleu), le 11 novembre 2017 à Saint-Denis, aux prises avec  Wyatt Crockett / Michel Euler / AP

Clémenceau a dit : « Quand on est jeune, c’est pour la vie. » Peut-être. Mais pas sûr que, même le jour de l’Armistice, l’aphorisme de l’ancien président du conseil des ministres convainque Guy Novès, actuel sélectionneur du XV de France. Car le temps tourne pour ses jeunes joueurs. Leur défaite logique face à la Nouvelle-Zélande (18-38), samedi 11 novembre à Saint-Denis, a laissé des promesses en seconde période. Mais ce premier test-match d’automne rappelle aussi, à deux ans de la prochaine Coupe du monde, l’écart qui sépare toujours les Bleus des double tenants du titre.

Ce soir, l’ancien professeur d’éducation physique et sportive a fait encore confiance à la jeunesse. Par nécessité presque autant que par philosophie, Guy Novès avait aligné d’entrée de jeu quatre petits nouveaux qui fêtaient leur première titularisation en même temps que leur première défaite face à des All Blacks deux fois plus expérimentés que l’ensemble du XV de France. Bienvenue, donc, à l’ouvreur Anthony Belleau : 21 ans. Au troisième ligne Judicaël Cancoriet : même âge. Au deuxième ligne Paul Gabrillagues : 24 ans. Et au centre Geoffrey Doumayrou, le plus chenu : 28 ans.

Le sélectionneur avait déjà prévu quelques remaniements depuis la tournée catastrophique de juin en Afrique du Sud : trois matchs, trois défaites, et plus de cent points encaissés. Mais les blessures de la rentrée ont sans doute accentué la tendance. En l’absence prolongée de Camille Lopez, Wesley Fofana, Rémi Lamerat, Damien Chouly, Yacouba Camara, Noa Nakaitaci ou encore Virimi Vakatawa, il fallait bien proposer de « nouvelles têtes », comme le réclamait d’ailleurs Bernard Laporte, le président de la Fédération française de rugby – qui a, lui, aujourd’hui d’autres soucis en tête : le ministère des sports mène toujours une enquête interne à son encontre pour soupçon de favoritisme envers le club de Montpellier.

« C’aurait été un drame »

« Nouvelle tête » à la place de Lopez, blessé, Anthony Belleau a composé ce soir la charnière avec un demi de mêlée presque aussi novice que lui : Antoine Dupont, 21 ans dans trois jours, et jusque-là seulement trois petites entrées en jeu avec le XV de France. « Compte tenu du contexte, ils ont globalement répondu présent, avec des qualités individuelles, mais ils n’ont pas toujours bénéficié de ballons de qualité », a commenté Guy Novès en conférence de presse. Le manageur a apprécié « les qualités individuelles d’Antoine, capable de faire de grosses différences avec peu de chose. » Et estimé, au sujet de son binôme, qu’il « a essayé de remplir sa mission telle qu’on lui avait demandé. »

Tout est dans le « globalement ». L’adverbe cache aussi les limites de cette équipe de France. Nombreuses, surtout face à une équipe de All Blacks. Au-delà du duo Belleau-Dupont, Novès a regretté la première période de son équipe : quarante premières minutes « de très faible niveau ». « On peut effectivement se reprocher – et on va travailler là-dessus – d’avoir abordé ce match avec si peu d’agressivité pour pouvoir au moins rivaliser sur des actions qui me paraissaient relativement simples. »

La suite fut donc plus rassurante. Ou moins inquiétante, question de perspective. « Réagir en partant de si loin et en étant si mauvais était le smic, calcule Novès. […] C’aurait été un véritable drame s’il n’y avait pas eu cette réaction. » Réaction il y eut donc : de 31-5 en leur défaveur à la mi-temps, les Bleus ont réduit l’écart à 38-18 en seconde période. Deux pénalités de Belleau (43e et 52e), ainsi qu’un essai de pénalité (47e) qui sanctionne un anti-jeu du Néo-Zélandais Sonny Bill Williams : sur un ballon haut, ce dernier a « volleyé » le ballon en touche, geste permis au rugby à XIII (qu’il a pratiqué) mais non à XV.

Les 2 000 essais néo-zélandais

Teddy Thomas aussi a subi le désaveu de l’arbitre : déjà auteur d’un essai en première période, le Français de 24 ans croyait avoir fait coup double en aplatissant un autre ballon derrière la ligne d’en-but (57e), mais il avait cette fois mis un pied en touche. De retour en sélection après des débuts vibrionnants, puis une longue mise en sommeil, l’ailier gauche profitait alors d’une percussion d’un autre revenant, Mathieu Bastareaud, dont le dernier match avec le XV de France remontait à deux ans : un certain quart de finale perdu (62-13) face à la Nouvelle-Zélande, cauchemar du Mondial 2015.

Sans être aussi impitoyables qu’il y a deux ans, les All Blacks version 2017 ont toutefois suggéré assez clairement en première période leur maîtrise des éléments comme du ballon : 73 % d’occupation du terrain et 64 % de possession à la pause. De quoi franchir un seuil symbolique qui assoit encore plus la singularité mondiale : avec cinq essais ce soir, dont quatre dans le premier acte, la Nouvelle-Zélande vient de dépasser le total effarant de 2 000 essais inscrits depuis 1893. Ce seuil ayant été atteint dès le troisième essai kiwi du soir, œuvre du centre Ryan Crotty (36e).

Combien d’autres mardi ? Le 14 novembre, à Lyon, les réservistes de la Nouvelle-Zélande affronteront ceux du XV de France pour un second match automnal sans le même attrait que celui venant de s’achever. Le XV de France se mesurera ensuite à l’Afrique du Sud et au Japon les week-ends suivants. Mais la fédération se prépare surtout à un autre rendez-vous : le 15 novembre, au lendemain du deuxième match contre les All Blacks, World Rugby votera pour attribuer l’organisation de la Coupe du monde 2023 à la France, l’Irlande, ou l’Afrique du Sud, pour l’instant favorite. 2023 : cette année-là, Anthony Belleau et Antoine Dupont auront 27 ans.