Des femmes font la queue pour voter à l’élection présidentielle, au Somaliland. / Barkhad Kaariye / AP

Etre une jeune fille de 16 ans et voter pour la première fois à Hargeisa. Marwa s’est levée très tôt, ce lundi 13 novembre, pour élire le troisième président de la République du Somaliland, cet Etat autoproclamé indépendant de la Somalie depuis vingt-six ans mais jamais reconnu. Maintenant, elle fait la queue avec ses copines devant le bureau de vote Bakery no 1, pas très loin de son lycée. Le soleil vient à peine de se lever et il fait un peu froid. Mais il flotte une atmosphère tranquille sur cette foule sagement rangée en plusieurs files d’attente. Les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Ils sont heureux de voter.

Marwa ajuste le hijab grenat qui cerne ses pommettes rebondies et un grand sourire, avant de se lancer : « J’ai 16 ans et je vote pour la première fois. Je peux choisir et j’attends beaucoup de choses. Du travail, de la liberté… » Celle qui a tout juste l’âge légal pour participer au scrutin veut être juriste, et pense qu’elle y arrivera. Comme Fatun qui veut être docteur, ou Nafisa institutrice.

Le regard un peu sauvage, la tenue frondeuse avec son sweat à capuche sur son foulard mal serré, Zainab, 18 ans, se met à rêver :

« Je veux pouvoir m’habiller comme je veux, faire le travail que je veux, être seule quand je veux. Je veux pouvoir marcher seule dans la rue sans me faire agresser. »

Les autres la regardent, surprises de tant d’audace. Aucun des trois candidats à la charge suprême pour remplacer le président sortant, Ahmed Mohamed Silanyo, n’a fait la moindre promesse sur un terrain, où l’islam conservateur fixe les limites à ne pas dépasser. Mais voter c’est aussi commencer à revendiquer.

« Cette fois, on ne pourra pas voter deux fois »

La file glisse lentement vers la petite pièce qui tient lieu de bureau de vote dont l’entrée est gardée par un officier de police. A l’intérieur, deux pupitres d’école récupérés auprès du Conseil norvégien pour les réfugiés, tiennent lieu de tables pour les assesseurs, affublés de chasubles jaunes semblables à des gilets de sécurité. Chaque électeur doit montrer son auriculaire gauche au chef de bureau chargé de vérifier qu’il ne porte aucune trace d’encre, preuve qu’il aurait déjà voté. Puis il doit présenter sa carte d’électeur établie à partir d’un système inédit de reconnaissance biométrique de l’iris. Les photographies et les noms des trois candidats ont été imprimés sur un même bulletin, dont il suffit de cocher une case derrière un petit paravent avant de le déposer dans une urne transparente surveillée par un observateur indépendant.

Ce dispositif doit garantir qu’il n’y aura pas de double vote, comme ce fut le cas lors du précédent scrutin, en 2010. « Cette fois, on ne pourra pas voter deux fois », rigole Mohamed, visiblement au fait des combines passées.

Dans leur rigueur, les experts du registre électoral ont manqué de vigilance. Amina, jeune pousse de 14 ans, qui parle politique comme si elle en avait 20, brandit sa carte d’électeur. « Je suis très grande. J’ai dit que j’avais 16 ans et ils m’ont enregistrée », explique-t-elle naïvement, sans se soucier du regard embarrassé de ses aînés. Comment parer à ce genre d’irrégularité dans un pays qui ne possède pas d’état civil ?

« Nous voulons du travail »

Dans les rues vidées, pour des raisons de sécurité, de leur habituelle circulation, seuls se croisent les véhicules de la Commission électorale et des officiels épargnés par les restrictions. Sur la place de la Victoire, où trône la dépouille d’un avion de combat symbole de la lutte contre le régime de Siad Barre dans les années 1980, les électeurs déambulent sur la chaussée et se congratulent de leur exemplarité. « Nous aimons la paix et la stabilité, dites-le au reste du monde, supplie Abdallah Hussein, en jurant qu’il soutiendra le vainqueur, quel qu’il soit. Nous voulons du travail, voilà ce qui importe. » 70 % de la population de cet ancien protectorat britannique a moins de 35 ans. La majorité n’a pas d’emploi.

De jeunes garçons, qui ont aussi voté pour la première fois, se chahutent en défendant leur candidat. « Kulmiye, Kulmiye », crie le partisan du parti au pouvoir. « Waddani », rétorque un autre favorable au principal parti d’opposition. Ils sont les citoyens d’un pays qui n’existe pas et n’ont jamais eu d’autre identité. Le reste du monde leur dénie le droit d’exister. Ils en nourrissent plus d’incompréhension que d’amertume. A leurs yeux, rien n’est plus précieux que la liberté et la paix.