En moins de deux mois, la justice a acquitté deux hommes accusés de viol pour avoir eu des relations sexuelles avec des fillettes de onze ans. Dans les deux cas, les parquets de Pontoise et de Meaux ont jugé que les victimes, malgré leur jeune âge, avaient eu une relation sexuelle consentie ; un jugement que les associations estiment inacceptable.

Pascal Cussigh, avocat au barreau de Paris depuis 21 ans, est président de l’association Coup de pouce-Protection de l’enfance, créée en 2014 pour accompagner les victimes de maltraitance durant leur enfance. Pour lui, le droit français « ignore la protection de l’enfance » et doit « de toute urgence » être corrigé.

Pourquoi les affaires de Meaux et de Pontoise suscitent-elles l’indignation ?

Ces affaires sont extrêmement choquantes car on en arrive à considérer qu’un enfant de onze ans – je rappelle qu’à onze ans on entre en sixième –, serait capable de consentir à une fellation, par exemple, alors même qu’il ignore tout de ce que sont les actes sexuels ! A cet âge-là, on n’a évidemment ni le discernement, ni la maturité pour consentir à ce genre d’acte.

Certains magistrats considèrent que certains enfants de onze ans n’ont pas suffisamment de discernement pour être entendus par un juge aux affaires familiales, mais on nous fait croire qu’ils pourraient consentir à un acte sexuel ? C’est complètement aberrant.

L’avocat de la défense dans l’affaire de Meaux a lui-même parlé de « défaillance légale ». Quel est l’état du droit sur cette question aujourd’hui en France et en Europe ?

Le système français bénéficie largement aux agresseurs et ignore la protection de l’enfance, qui n’est pas une priorité des pouvoirs publics français. Si on applique strictement le code pénal, même un enfant de quatre ans peut être consentant ! Pour qu’un viol soit caractérisé, il faut établir la contrainte, la menace, la violence ou la surprise. Mais c’est particulièrement compliqué pour un enfant violé par un adulte, car la contrainte vient du fait que l’agresseur est plus âgé. Il n’y aura pas d’opposition physique. La science montre d’ailleurs très bien qu’une victime d’agression grave peut rester figée, par peur, et cette absence de réaction est assimilée à du consentement par le droit.

« En Angleterre, cette législation date de 1956, c’est dire le retard français »

La seule limite de consentement a été fixée par la Cour de cassation en 2005, mais elle concerne les enfants âgés de moins de six ans. C’est une différence énorme avec les autres pays développés qui ont déjà voté un âge limite pour le consentement. En Angleterre, cette législation date de 1956, c’est dire le retard français ! Etats-Unis, Canada, Autriche, Belgique, Italie, Danemark, Portugal, Espagne… dans tous ces pays, on considère que, entre 12 et 15 ans en moyenne, les enfants sont trop jeunes pour consentir et les victimes n’ont pas à apporter la preuve de la contrainte.

La secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, a annoncé la création d’un « seuil de présomption de non-consentement irréfragable » dans la loi contre les violences sexuelles. Cette proposition vous paraît-elle satisfaisante ?

La solution, c’est évidemment l’instauration d’une présomption d’une absence de consentement au-dessous d’un certain âge. Il est urgent de l’introduire dans le droit, même si la définition de l’âge limite est difficile. Les psychologues et les psychiatres expliquent que la maturité affective dépend des individus, il est donc difficile de s’appuyer sur ce critère mais il nous faut établir un seuil pour protéger les enfants. Nous défendons 15 ans, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes préconise 13 ans. Mais que ce soit l’un ou l’autre, ce sera déjà un énorme progrès.

Il faudra cependant être très précautionneux avec les lois qui seront proposées. Aujourd’hui, il y a une proposition de loi qui se contente d’établir l’absence de consentement pour les actes de pénétration sexuelle. Mais à 8 ans, on ne consent pas non plus à des attouchements sexuels ! On ne peut pas limiter cette législation aux seuls cas de viol.

Par ailleurs, il reste encore beaucoup à faire sur ces questions. Repousser les délais de prescription, pour ne pas empêcher les victimes de parler, comme en Angleterre où il n’existe pas de délais de prescription. Accompagner les victimes, comme au Canada, où une victime qui vient déposer plainte pour viol se voit octroyer d’emblée une aide psychologique alors qu’en France, aucun dispositif n’est prévu.

Vous portez ces revendications depuis plusieurs années sans succès. Quels sont les arguments qui vous sont opposés ?

C’est un sujet sur lequel les pouvoirs publics sont très frileux et sur lequel nous partons de très loin : la protection de l’enfance en matière d’agression sexuelle était inexistante avant les années 1980. Aujourd’hui, on nous dit notamment que la présomption d’absence de consentement ne respecte pas la présomption d’innocence. C’est même ce que le ministère de la justice a répondu à un sénateur au mois de mai. Mais cette affirmation est fausse : un seuil pour le consentement sexuel ne dispenserait pas d’apporter la preuve de l’élément matériel de l’agression.

On nous oppose également que l’absence d’âge minimum pour le consentement sexuel n’est pas une lacune très grave puisque la loi interdit les relations sexuelles avec les mineurs de moins de 15 ans. Cela permet effectivement des poursuites, mais les peines sont extrêmement différentes ! Dans l’affaire de Pontoise, on passe d’une peine encourue de 20 ans à une peine encourue de 5 ans car la victime est reconnue consentante. Le caractère dissuasif de la sanction est altéré, et la justice porte un deuxième coup à la victime en lui disant implicitement qu’elle a participé à l’infraction. Je ne vois pas comment une victime peut espérer se reconstruire dans ces conditions.