Les généraux Valerio Sibanda (gauche) et Constantino Chiwenga (à droite), lors d’une conférence presse au siège de l’armée zimbabwéenne, à Harare, le 13 novembre 2017. / JEKESAI NJIKIZANA/AFP

A Harare, au quartier général des forces armées, lundi 13 novembre au soir, on a passé un cap vers une zone de tempêtes. Innovation inattendue, la scène est transmise sur Facebook : le général Constantino Chiwenga, commandant des Forces de défense du Zimbabwe, s’apprête à lire une déclaration devant un micro. Il se racle la gorge, ce qu’il a à dire est important. Autour de lui, des généraux, des colonels. Dans la salle, une masse d’uniformes. Les visages sont fermés.

Le nombre des militaires présents est difficile à évaluer avec certitude : on parle de 90 gradés, dont 30 généraux, répartis entre la salle et l’estrade, parmi lesquels le chef de l’armée de terre et celui des forces aériennes. On note aussi les absents : les responsables des services de renseignement et de la police, ou encore le ministre de la défense, Sydney Sekeramayi, piliers du régime du président Robert Mugabe.

Contrairement à ce que la mise en scène pouvait laisser croire, le général Chiwenga n’est pas venu annoncer un coup d’Etat mais mettre en garde, avec solennité, le camp de Mugabe, dans un geste de défi inédit depuis l’indépendance. Il faut cesser les « purges » contre une faction du pouvoir qui, on le voit ainsi confirmé, bénéficie du soutien d’une partie importante des responsables de l’armée. Il y a de la menace dans l’air. C’est que l’avenir du Zimbabwe se joue maintenant.

Lacoste contre G40

Le général Chiwenga est l’un des principaux alliés du vice-président, Emmerson Mnangagwa, lequel a été démis de ses fonctions une semaine plus tôt. Ce dernier, jusqu’au lundi 6 novembre, était à la tête de la faction Lacoste (ainsi nommé par allusion à son surnom de « Crocodile » pendant la guerre de libération), qui pensait se voir confier la succession du président vieillissant (93 ans) après sa mort. Mais c’est une autre faction, Génération 40 (G40), réunie autour de la première dame, Grace Mugabe, qui est parvenue à pousser le chef de l’Etat, qu’elle a supplié de lui confier le pouvoir, à destituer Emmerson Mnangagwa.

L’ex-vice-président, depuis, est en cavale. Il semble avoir réussi à fuir le Zimbabwe, si l’on en croit une déclaration signée de sa main. Certains l’ont cru arrêté, mis au secret ou encore tué au terme d’une tentative infructueuse de quitter le pays par le Mozambique dans un 4x4 bourré de dollars. En réalité, sa fuite a été possible grâce à ses soutiens au sein des forces armées, précisément, malgré les consignes de boucler les frontières.

Depuis l’extérieur, que peut Mnangagwa ? Tenter de bouleverser le pouvoir. Première possibilité en ce sens : lors du congrès extraordinaire du parti au pouvoir, la Zanu-PF, en décembre, il compte pousser ses fidèles à tenter de l’emporter sur la « ligne » adverse. Une façon de revenir au pouvoir dans un cadre légal. Sachant cela, ses ennemis ont édicté de nouvelles règles, excluant du congrès tout responsable soupçonné d’irrégularités, de poursuites disciplinaires au sein du parti ou d’autres broutilles. Une façon de prolonger les purges en cours dans les centres du pouvoir (parti, régions, gouvernement, etc.) et de nettoyer le terrain afin de faire triompher le G40, ouvrant la voie à la succession de Mugabe.

« Manigances et traîtrises »

L’intervention du général Chiwenga est destinée à bouleverser ces calculs. En s’entourant de l’essentiel du commandement militaire, l’officier supérieur, supposé être parmi les prochains à devoir être « purgé », contre-attaque. Certes, il choisit ses mots et feint de considérer que le chef de l’Etat a été abusé par des « contre-révolutionnaires ». Mais l’avertissement est clair : « Nous devons rappeler à ceux qui se trouvent être les instigateurs des manigances et traîtrises variées que, lorsqu’il s’agit de la protection de la révolution, les militaires n’hésitent pas à agir. » Il tonne quand il évoque une opération de « confiscation de la révolution » destinée à « écarter tous les responsables de la guerre de libération » et à permettre au Zimbabwe « d’être de nouveau colonisé » ! Il vise, en fait, l’ensemble de la faction réunie autour de Grace Mugabe, ces jeunes technocrates qui n’ont pas combattu au temps de la guerre de libération.

Robert Mugabe a-t-il le pouvoir d’écraser la faction Lacoste, civils et militaires, responsables politiques et piliers du système ? Pour l’heure, la riposte, verbale, est venue de Kudzanai Chipanga. Le chef de la Ligue de la jeunesse de la Zanu-PF avait déjà demandé, par le passé, que l’épouse du chef de l’Etat soit nommée vice-présidente. Mardi, il a comparé la Ligue de la jeunesse à « un lion qui a été réveillé » et s’est dit « prêt à mourir », tout en affirmant que « des millions de jeunes sont prêts aussi ». Le prochain mouvement sera le plus important : si Robert Mugabe décide de limoger le chef des forces armées, que se passera-t-il ?

Le Zimbabwe se sent plonger dans l’inconnu. Mardi 14 novembre dans l’après-midi, un convoi de véhicules blindés faisait route en direction de Harare. Sans que l’on sache pour quel camp il roulait.