Editorial du « Monde ». Dans un appel d’une ampleur inédite publié lundi 13 novembre par la ­revue BioScience, plus de 15 000 scientifiques de toutes les disciplines et de 184 pays enjoignent aux responsables politiques et aux décideurs de tout mettre en œuvre pour freiner la destruction de l’environnement. Si celle-ci se poursuit au rythme actuel, les auteurs mettent en garde contre un déclin irrémédiable des bienfaits de la nature pour l’homme, une dégradation des conditions de vie à la surface de la Terre et, en définitive, une misère galopante.

Cet avertissement adressé par les signataires fait suite à une première alerte, publiée en 1992 dans la foulée de la première grande réunion internationale consacrée à l’environnement, le Sommet de la Terre de Rio. Lancée par le Prix Nobel de physique Henry Kendall, elle avait été signée par 1 700 scientifiques. Mais, à l’époque, elle avait été poliment ignorée.

Depuis, la communauté internationale s’est dotée de traités internationaux censés prendre à bras-le-corps les grandes menaces environnementales : changement climatique, effondrement de la biodiversité, désertification, pollutions diffuses, dépérissement de la vie marine, destruction de la couche d’ozone… Mais l’« appel des 15 000 » fait cet amer constat : à l’exception de cette dernière, toutes les dégradations identifiées alors par les scientifiques se sont aggravées. Sur de nombreux fronts, trop peu a été fait. Parfois presque rien. Les Etats semblent incapables de prendre la mesure du défi et, paradoxalement, le ­Forum économique de Davos est probablement l’un des cénacles où ces questions sont abordées avec le plus de sérieux et d’inquiétude.

Conséquences désastreuses et difficilement gérables

Du fait de leur nature globale, la plupart des menaces pointées par l’« appel des 15 000 » ne peuvent trouver de solution à l’échelle uniquement nationale. Mais il faut bien commencer quelque part. Un peu partout, les prises de parole politiques en matière d’environnement prennent souvent la forme de slogans plus que de programmes d’action. Ainsi, en France, en dépit du « Make our planet great again ! » du président Macron, le gouvernement s’apprête à autoriser l’ouverture d’une mine d’or géante en Guyane, repousse sine die la fermeture programmée de centrales nucléaires, entend supprimer les aides au maintien de l’agriculture biologique, rétro­pédale à propos de la taxe sur les transactions financières destinées à la lutte des pays du Sud contre le réchauffement…

L’absence de courage politique, la perméabilité à l’influence des intérêts contrariés par les mesures à prendre pèsent sur les discussions multilatérales. L’accord de Paris sur le climat de 2015 n’évitera pas, en l’état des engagements des signataires, un réchauffement de 3 oC par rapport à la période préindustrielle. Aujourd’hui, l’atmosphère ne s’est réchauffée que de 1 oC et, déjà, des ouragans qui frappent la Caraïbe à la sécheresse qui dévaste la Corne de l’Afrique, les conséquences de ce bouleversement sont si désastreuses et difficilement gérables qu’on a peine à imaginer ce qui pourrait se produire avec 2 oC supplémentaires.

C’est la grande différence entre 1992 et aujourd’hui : la dégradation de l’environnement produit des effets de plus en plus tangibles que plus personne – à l’exception d’un groupe d’irresponsables qui a pris le pouvoir à Washington – ne peut nier… L’« appel des 15 000 » est une nouvelle supplique aux décideurs et aux responsables politiques : agir plus tard, ce sera agir trop tard.