Liviu Dragnea quitte le parquet anticorruption, à Bucarest, le 13 novembre. / INQUAM PHOTOS / REUTERS

Ses proches l’appellent « Daddy », surnom qu’il apprécie car il joue souvent au père protecteur avec ses collègues. Mais Liviu Dragnea, le chef du parti au pouvoir en Roumanie, le Parti social-démocrate (PSD), a aujourd’hui besoin d’être protégé. Lundi 13 novembre il a été convoqué au siège du parquet national anticorruption (DNA) car il fait l’objet d’une enquête pénale.

Il est accusé d’avoir détourné 21 millions d’euros de fonds européens destinés à des projets d’infrastructures. Huit autres personnes sont visées par cette enquête qui secoue l’échiquier politique, qui vise aussi la société Tel Drum, qu’il est suspecté de diriger dans l’ombre. Abus de pouvoir, détournement de fonds européens, emplois fictifs, faux et usage de faux sont les principales accusations à l’encontre de l’homme fort de Bucarest.

« Je ne suis pas coupable, a-t-il déclaré à la sortie du DNA. Il s’agit d’une attaque contre les dirigeants du Parti social-démocrate. » Des milliers de hauts fonctionnaires, ministres, députés, sénateurs et maires se sont retrouvés derrière les barreaux, en criant aux procès politiques, depuis qu’une poignée de jeunes procureurs ont entamé une opération « mains propres » contre la corruption politique.

Condamné pour fraude électorale

Mais cette fois, l’enquête pénale ne trouve pas son origine en Roumanie mais dans les bureaux de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) de Bruxelles, chargé de contrôler les fonds européens dans les pays membres de l’Union européenne. « L’action du parquet national anticorruption est le résultat de deux investigations menées par l’OLAF sur des projets financés par le Fonds européen de développement régional pour la construction de routes en Roumanie. Ces investigations se sont achevées en mai et en septembre 2016 », explique l’OLAF dans un communiqué publié après l’audition de M. Dragnea.

Saisis par l’organisme de contrôle européen, les procureurs roumains ont entamé leur propre enquête. « Depuis 2001, le suspect Liviu Dragnea a mis en place un groupe criminel dont le but a été de détourner les fonds publics et européens au moyen de l’évasion fiscale, du blanchiment d’argent et d’abus de pouvoir », affirme le communiqué du DNA.

Le compte à rebours semble avoir commencé pour l’homme qui rêvait d’être premier ministre et candidat à l’élection présidentielle de 2019. Dans les coulisses du parti, nombre de sociaux-démocrates parlent de sa démission car les aventures pénales de « Daddy » risquent d’affecter irrémédiablement l’image du parti. M. Dragnea a déjà été condamné en avril 2016 à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale. Ses tentatives depuis le retour au pouvoir du PSD en décembre 2016 pour mettre au pas la justice et le DNA ont entraîné de vives protestations de la population.

« Effets dissuasifs forts »

Son ascension a commencé dans les années 1990. En 1996, le modeste ingénieur est nommé préfet de son département de Teleorman, dans le sud de la Roumanie, connu pour sa pauvreté. En 2000, lorsque le Parti démocrate perd les élections, il lui tourne le dos et s’inscrit chez ses adversaires sociaux-démocrates, trahison politique bien récompensée par ses nouveaux amis politiques. Il est nommé président du conseil départemental de Teleorman en 2002, élu député en 2012, et en 2013 il prend les rênes du PSD. Entre-temps, il s’était fait construire dans son département une somptueuse demeure qui contraste avec l’indigence de sa région.

Après la victoire du PSD aux élections législatives, Liviu Dragnea n’avait pu être nommé premier ministre à cause de l’opposition du président Klaus Iohannis. La loi roumaine interdit à un condamné pénal d’occuper un poste de haut fonctionnaire. Mais la nouvelle enquête pénale, qui vise un détournement de fonds européens, risque de lui coûter plus cher puisque Bruxelles lui demande de restituer 21 millions d’euros.

« Cette investigation est un bon exemple de coopération entre l’OLAF et les autorités nationales, se félicite Nicholas Ilett, le directeur de l’Office antifraude. Nous espérons que les investigations menées par l’OLAF vont produire des effets dissuasifs forts. »

Le message des jeunes procureurs roumains est lui aussi très ferme : ils promettent d’aller jusqu’au bout.