Documentaire sur Arte à 22 h 30

Nikolaï Vassilievitch Kaza­kov et les siens. / ARTE

A la chute du communis­me, en 1991, l’usine automobile Zil, construite sur un immense territoire à Moscou, était le fleuron de l’industrie soviétique. Près de 70 000 ouvriers y fabriquaient des camions pour l’armée, des tracteurs pour les paysans et des voitures de prestige pour toute la Nomenklatura. C’est là que Nikolaï Vassilievitch Kaza­kov, communiste convaincu, malgré tout victime des purges staliniennes, a travaillé avec fierté plus de trente ans en gravissant tous les échelons jusqu’à diriger l’usine. L’âge et l’arrivée de Boris Eltsine au pouvoir l’ont obligé à prendre sa retraite et à assister à la démolition de « son » usine par les nouveaux maîtres libéraux du Kremlin.

En 1990, le réalisateur Daniel ­Leconte l’avait rencontré lors d’un premier documentaire sur la ­désintégration du communisme. Sept ans plus tard, à l’occasion du 80anniversaire de la révolution russe, il était revenu à Moscou pour filmer Kazakov, alors octogénaire. Ce dernier, toujours militant et adversaire du nouveau régime, l’avait introduit auprès de sa famille (son épouse, ses trois filles, les maris et enfants de celles-ci), divisée politiquement par la présidence d’Eltsine. Daniel Leconte avait interrogé la fratrie et montré les grandes divergences politiques entre les générations.

Nostalgie et mélancolie

Vingt ans après, à l’occasion cette fois du centenaire de la révolution d’Octobre, le réalisateur français retrouve la même famille. Comme dans une tragédie russe, Nikolaï est décédé en 2005 ainsi que son épouse, deux de ses filles sont mortes à une semaine d’intervalle à la suite de longues maladies, et la troisième n’a pas voulu répondre à ses questions. Symbole des changements en Russie : le complexe Zil a été complètement rasé pour laisser place à ZilArt, un projet culturo-financier piloté par un magnat de l’immobilier.

Seul Anton, l’un des petits-fils de Kazakov, a accepté de rencontrer le réalisateur. Face aux séquences tournées des années auparavant, le jeune homme, qui n’approuvait pas les idées de son grand-père, ­revient avec mélancolie et parfois nostalgie sur les années passées : l’engagement, les échecs, la fierté d’être russe. Les silences sont parlants. Ce documentaire filmé avec émotion est aussi un bel hommage à la mémoire de Kazakov, héros d’un autre temps, qui, pendant longtemps, a cru que son idéal pourrait changer le monde.

Communisme, le murmure des âmes blessées, de Daniel Leconte (Fr, 2017, 58 min).