Rien ne va plus sur les tables de poker clandestin de la capitale. Un trio d'organisateurs de parties illégales a été interpellé au cours de deux opérations menées au petit matin le 13 juin et le 10 juillet par les limiers de la brigade de répression du banditisme. Les trois comparses ont été mis en examen pour "tenue d'une maison de jeux de hasard en bande organisée" et "association de malfaiteurs" dans le cadre d'une instruction ouverte par le parquet de Paris.

Deux d'entre eux, David D., 60 ans, et Mickaël Benyamin, 41 ans, ont été placés sous contrôle judiciaire. Le troisième, Jean-Jacques Ghébali, 46 ans, est en détention provisoire. Chez celui-ci, les hommes de la BRB ont découvert 76 970 euros, 2 300 dollars américains en liquide ainsi que des chèques dissimulés dans des caches. Chez David D., ex-tireur sportif, ils ont trouvé 35 850 euros en liquide ainsi qu'une collection d'armes de type 357 magnum, pistolet automatique et 22 long rifle, et enfin chez le troisième des chèques pour un montant total de 230 000 euros.

Depuis un an au minimum ces trois "addicts" du jeu invitaient des joueurs au moins une fois par semaine autour d'une table composée d'une dizaine de passionnés fortunés : des chefs d'entreprise qui pouvaient laisser dans ces parties des sommes astronomiques – l'un d'entre eux a perdu jusqu'à 500 000 euros en une seule soirée – mais aussi des célébrités, à l'instar de Patrick Bruel.

ENTRÉE À 10 000 EUROS

Entendu comme témoin par les policiers, le chanteur et comédien ne fait l'objet d'aucune poursuite. Il avait quitté la table plusieurs semaines avant l'intervention de la police. Des nouvelles personnes venaient d'arriver qui ne lui plaisaient pas, a-t-il déclaré. Les parties duraient toute la nuit et se déroulaient sans limite de mise: le nec plus ultra pour les accros du poker. Selon un enquêteur, "c'est dans ces parties qu'on trouve les meilleurs joueurs".

Le droit d'entrée s'élevait à 10 000 euros, versés le plus souvent en cash, auxquels il fallait ajouter le dépôt d'un chèque de garantie en blanc, qui servait à couvrir les éventuelles pertes. Trois croupiers battaient les cartes moyennant un salaire de 500euros la soirée.

Bénéficiaires d'un "tuyau", les policiers de la BRB ont commencé à surveiller David D. au mois de mars. Cet agent immobilier, propriétaire d'un splendide appartement dans le quartier du parc Monceau, au cœur du 8e arrondissement de Paris est décrit comme "un homme très riche". Joueur invétéré, il préférait accueillir les parties confortablement installé dans ses 200 mètres carrés de parquet ciré plutôt que de s'embêter dans des cercles de jeu. Se sachant surveillé, il avait arrêté les soirées chez lui, recommandant ses partenaires à Jean-Jacques Ghébali.

C'est ce dernier, propriétaire de plusieurs sociétés de formation professionnelle et de cours de langues, qui suscite la plus vive attention. Les enquêteurs le soupçonnent de liens avec le banditisme. Ce qui provoque l'ire de son avocat, Me Patrick Klugman. "Dans cette affaire, certains veulent créer une ambiance de gangstérisme. Alors qu'il s'agit de quelques parties de poker entre joueurs aguerris", s'agace le conseil.

En France, la législation sur les jeux d'argent et de hasard, qui date du XIXe siècle, a été réformée par la loi de 2010, qui a légalisé les paris en ligne mais alourdi les peines en cas de jeu clandestin. Les joueurs ne sont pas passibles de poursuites, mais les organisateurs s'exposent à des peines de trois ans de prison et 90 000euros d'amende. La sanction grimpe à sept ans de prison et à 200 000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise en bande organisée.

Aux dires des spécialistes, les cercles clandestins aux mains des aigrefins sont plus prisésdes gros joueurs que les cercles légaux, où les parties et les mises sont soumises à réglementation. A Paris, les services de police auraient l'œil sur environ 10% des jeux clandestins ; les 90% restants échapperaient à leurs investigations.

Mise à jour (21/03/2016) : Le 21 novembre 2015, David D. a été condamné par la cour d'appel de Paris à 20 000 euros d'amende et deux ans d'interdiction de porter et détenir une arme pour « participation à la tenue d'une maison de jeux de hasard » et détention illégale d'arme. Il a en revanche été relaxé des faits de « participation à association de malfaiteurs ».