L’ex-président de la Conmebol Nicolas Leoz (à gauche) et le vice-président de la FIFA Julio Grondona, aujourd’hui disparu, sont accusés d’avoir été au centre d’un système de corruption concernant les droits télévisuels en Amérique latine et l’attribution de la Coupe du monde au Qatar. / NORBERTO DUARTE / AFP

Un million de dollars. C’est, selon un témoin, la somme minimale touchée par l’ex-roi du football argentin Julio Grondona pour voter en faveur de l’attribution au Qatar de la Coupe du monde 2022.

Entendu mardi 14 novembre à New York, Alejandro Burzaco, premier témoin du procès de la corruption au sein de la FIFA, a brossé un tableau accablant de la corruption au sein du football sud-américain, avec des millions de dollars de pots-de-vin payés pour les droits télévisuels des tournois du continent ou pour choisir des pays hôtes de la Coupe du monde.

Alejandro Burzaco dirigeait, depuis 2006 et jusqu’à son inculpation par la justice américaine en mai 2015, une puissante société argentine – Torneos y Competencias – directement impliquée dans de multiples contrats de droits télévisuels en Amérique du Sud, et au cœur de ce système.

« Qu’est-ce que tu fous ? C’est toi qui ne votes pas pour le Qatar ? »

Très proche du puissant président de la Fédération argentine Julio Grondona, mort en 2014, il a notamment été au fait des circonstances du vote des dirigeants sud-américains en faveur du Qatar, vainqueur au quatrième tour des Etats-Unis, instructeurs du procès FIFA.

En décembre 2010, M. Burzaco est à Zurich pour le vote, en compagnie de Grondona, du président de la Fédération brésilienne, Ricardo Teixeira – lui aussi très influent au sein de la FIFA – et de Nicolas Leoz, président de la Conmebol, la confédération sud-américaine. Les trois hommes ne font pas mystère de leur intention de voter pour le Qatar.

Lors d’une interruption de séance après le deuxième tour, alors qu’il manque des voix à l’émirat, Teixeira et Grondona prennent Leoz à part pour, rapporte M. Burzaco, « le secouer » : « Qu’est-ce que tu fous ? C’est toi qui ne votes pas pour le Qatar ? » Leoz admet avoir voté pour le Japon puis la Corée du Sud. Aux troisième et quatrième tours, le Paraguayen soutiendra, comme prévu, le Qatar.

Le mois suivant, alors qu’il devait verser 1 million de dollars de pots-de-vin à Grondona et un autre million à Teixeira, Alejandro Burzaco s’est vu suggérer par l’Argentin de lui reverser directement la somme due au Brésilien, au motif que Teixeira « le lui devait, car Grondona avait voté pour le Qatar ».

La manne des droits télévisuels

Selon le témoin, Grondona ne lui a pas dit le montant total perçu pour voter en faveur du Qatar ni qui était le payeur dans ce système de corruption. Mais il a dit avoir assisté à une altercation entre Grondona et des responsables qataris des mois plus tard, l’Argentin leur reprochant des articles de presse insinuant qu’il avait reçu des pots-de-vin.

« En gros, Grondona leur a dit : donnez moi 80 millions de dollars ou écrivez une lettre disant que vous ne m’avez jamais payé », a raconté M. Burzaco.

Les dessous-de-table pour l’attribution de la Coupe du monde ne représentaient qu’une petite partie du système de corruption tournant autour du roi du football argentin.

Les millions permettaient surtout d’obtenir ou de conserver, face à une concurrence féroce, de juteux contrats de droits télévisuels pour la diffusion internationale du sport roi en Amérique latine. Les montants de ces contrats n’ont cessé d’augmenter ces dernières années.

Devant les jurés, M. Burzaco a affirmé que de nombreuses chaînes télévisées et sociétés audiovisuelles payaient ces pots-de-vin, dont la brésilienne TV Globo, l’américaine Fox Sports ou l’espagnole Mediapro.

Leoz, Grondona et Teixeira auraient reçu notamment quelque 600 000 dollars par an en échange de contrats liés aux tournois de la Copa Libertadores (l’équivalent de la Ligue des champions en Amérique du Sud) et de la moins prestigieuse Copa sudamericana. Et plusieurs millions supplémentaires pour des contrats ciblés.

Plus de vingt ans de prison encourus

Face à cette corruption endémique, les trois accusés du procès new-yorkais ne faisaient pas exception, a assuré M. Burzaco, qui a affirmé leur avoir versé des pots-de-vin : à savoir l’ex-président de la puissante fédération brésilienne, José Maria Marin, 85 ans ; Manuel Burga, qui dirigea la fédération péruvienne de 2002 à 2014 et ex-membre du comité de développement de la FIFA, 60 ans ; et Juan Angel Napout, ex-président de la fédération paraguayenne et de la Conmebol, 59 ans.

Sur les 42 personnes visées par la justice américaine dans ce scandale, les trois hommes sont les seuls à être jugés dans ce procès censé durer six semaines. Ils risquent des peines de plus de vingt ans de prison.

Vingt-quatre autres personnes, dont M. Burzaco, ont plaidé coupable. Les autres sont soit poursuivies par la justice de leur pays, soit luttent contre leur extradition aux Etats-Unis.

Parmi eux figurait l’Argentin Jorge Delhon, accusé par M. Burzaco d’avoir bénéficié de pots-de-vin alors qu’il travaillait pour Football for All, programme gouvernemental s’occupant de la répartition des droits télévisuels des matchs de foot en Argentine. Jorge Delhon n’a apparemment pas supporté d’être mis en cause publiquement et s’est jeté sous un train dans la banlieue de Buenos Aires quelques heures plus tard, selon les médias locaux.

En outre, Alejandro Burzaco, qui se rendait régulièrement au siège de la FIFA à Zurich, où le scandale a éclaté en mai 2015, a été appelé par le procureur à identifier des photos de l’ex-président de la FIFA Sepp Blatter, son ex-bras droit Jérôme Valcke, ou encore le président du PSG et patron de BeIN Media, Nasser Al-Khelaïfi. Ces deux derniers sont actuellement dans le collimateur de la justice suisse pour des allégations de corruption autour de l’attribution de droits télévisuels des Coupes du monde 2026 et 2030, qu’ils démentent.

M. Blatter est entendu comme témoin par la justice française, qui enquête sur des soupçons de corruption dans l’attribution des Mondiaux 2018 et 2022.