Vladimir Poutine et son ministre des Sports de l’époque, Vitali Moutko, lors des JO de Sotchi. Les deux hommes contestent leur implication, et celle de l’appareil d’Etat, dans les manipulations présumées des échantillons antidopage. / ALEXEY NIKOLSKY / AFP

La Russie, en tête du tableau des médailles des Jeux olympiques de Sotchi 2014 après avoir manipulé le système antidopage, sera-t-elle quatre ans plus tard au rendez-vous de Pyeongchang ? Le Comité international olympique (CIO) arbitrera du 5 au 7 décembre. Avant cela, l’Agence mondiale antidopage (AMA) décidera, jeudi 16 novembre, si elle prolonge la mise au ban de l’agence russe antidopage ou si elle la réintègre. Elle pourrait, à cette occasion, émettre une recommandation sur la présence russe à Pyeongchang.

En quatre ans d’investigations, Jack Robertson, enquêteur en chef de l’AMA jusqu’en janvier 2016, a touché du doigt tant la réalité du dopage en Russie que les résistances du monde sportif. En août 2016, il a raconté les dessous de son enquête et les résistances rencontrées en interne au site d’investigation ProPublica. Il ne s’est plus exprimé depuis.

Jack Robertson souffrant d’un cancer de la gorge qui a fortement réduit sa capacité à parler, l’interview a été réalisée par courriel.

Dix-sept des plus grandes organisations nationales antidopage ont appelé le CIO à interdire la Russie de participation aux prochains Jeux olympiques d’hiver. Auriez-vous signé cet appel ?

Oui, oui et oui. Ce niveau de triche organisée et de mépris total des règles est sans précédent. Interdire les JO à la Russie est non seulement justifié, mais nécessaire pour affirmer que la décence, l’honnêteté et l’intégrité veulent encore dire quelque chose dans une compétition sportive. Pour le meilleur ou pour le pire, le CIO et l’AMA vont, par leurs décisions, envoyer un message aux générations d’athlètes actuelles et futures.

Une privation de Jeux olympiques ne serait-elle pas injuste vis-à-vis des Russes n’ayant pas bénéficié du système de dopage organisé en place il y a quatre ans ?

Des équipes ont déjà été suspendues pour le dopage de certains de leurs membres et pour des fautes insignifiantes au regard de ce qui s’est passé en Russie. Si elle est bannie, comme elle doit l’être, la Russie ne pourra s’en prendre qu’à elle-même d’avoir emprunté la voie de la corruption.

Le CIO a introduit dans sa charte la possibilité qu’un athlète ou un comité olympique écope d’une amende, qui pourrait être une façon de sanctionner la Russie. Qu’en pensez-vous ?

Cela semble être un moyen pour un nombre réduit d’athlètes, d’organisations ou de pays d’acheter leur immunité après avoir enfreint le Code mondial antidopage. A mon avis, c’est la solution du CIO pour faire en sorte que la Russie participe aux JO 2018. J’ai entendu dire que la direction de l’AMA soutenait cette politique. Si c’est le cas, je serai grandement déçu. L’AMA a pour responsabilité et pour mission de protéger le code mondial et les droits des athlètes propres. La possibilité de remplacer la suspension par des amendes est une mauvaise option qui ne fera que nuire au sport propre.

Le CIO est perçu comme sensible aux intérêts russes. L’avez-vous ressenti durant votre enquête et comment l’expliquez-vous ?

Je ne peux pas l’expliquer. Je considère le processus de décision du CIO comme douteux et faillible. Je ne comprends pas ses décisions vis-à-vis de la Russie. En comparaison, disposant des mêmes faits, le Comité international paralympique (IPC) a pris des décisions plaçant en priorité les idéaux et valeurs olympiques (la Russie a été privée des Jeux Paralympiques de Rio, ndlr). Le CIO a eu la même opportunité d’honorer ces idéaux et ne l’a pas fait. Mais peut-être devrais-je ne plus être surpris.

Je me souviens d’un communiqué du président du CIO Thomas Bach en 2015, durant notre enquête, dans lequel il disait que, peu importe son issue, la Russie ne serait pas privée de Rio. C’était avant de connaître les conclusions de l’enquête, dont les détails étaient strictement confidentiels. Je ne comprenais pas que, connaissant le sérieux des allégations, il prononce ce qui équivalait déjà à un pardon, sans connaître l’avancée de l’enquête. Je me suis dit à ce moment-là, et je le pense toujours, qu’il était en faveur de la Russie.

Le président du CIO Thomas Bach, en discussion avec son homologue de l’Agence mondiale antidopage Craig Reedie. Les deux hommes sont considérés comme sensibles aux arguments de la Russie. / FABRICE COFFRINI / AFP

Avez-vous été surpris de voir lors du dernier congrès du CIO, les président et directeur général de l’AMA, Craig Reedie et Olivier Niggli, condamner l’initiative des agences nationales antidopage ?

Compte tenu de ce que j’ai vu ces deux dernières années, je ne suis malheureusement pas surpris. Beaucoup, moi y compris, considèrent cela comme une trahison de la mission de l’AMA. L’AMA peut essayer tant qu’elle veut de justifier son action dans ce dossier, c’est injustifiable. Ils veulent nous faire prendre des vessies pour des lanternes. L’AMA semble hésiter sur un sujet qui pour moi est clairement blanc et noir, le bien contre le mal. Le mouvement antidopage se sent complètement abandonné par le soutien apparent de l’AMA au CIO sur cette question.

La défense des athlètes propres commence par le changement des dirigeants du CIO et de l’AMA

Je sais que des dirigeants du monde du sport et des agences nationales antidopage ne respectent plus l’AMA et ne comptent plus sur elle pour faire ce qui est juste au regard du code mondial antidopage. Il y a beaucoup de gens pour qui j’ai la plus grande admiration à l’AMA, des gens de talent et impliqués, mais le problème vient de la direction depuis le départ de David Howman (son précédent directeur général, en juin 2016). Je pense, avec d’autres, que c’est maintenant la responsabilité des gouvernements de se rassembler pour défendre les droits des athlètes propres et la morale sportive ; ce qui, je le pense vraiment, commence par un changement des dirigeants du CIO et de l’AMA.

Le fait que la Russie ait admis officiellement qu’elle avait, à l’époque, connu un problème de dopage, ne signifie-t-il pas qu’elle changera ses habitudes ?

Il faut lire cela au regard de l’expérience et de l’histoire. Donc la réponse est non. Depuis que les premières allégations ont été rendues publiques en décembre 2014 et jusqu’aujourd’hui, la Russie a toujours usé de contre-vérités, beaucoup d’entre elles se contredisant. Elle n’a même pas réussi à garder une seule ligne, bien que mensongère. Dans ses déclarations publiques, elle alternait mea culpa peu enthousiastes et démentis vigoureux. Je n’ai rien vu qui ressemble de près ou de loin à des aveux complets, ni le moindre remords de s’être assis sur la charte olympique. Tant que la Russie n’offrira pas un accès total à ses athlètes aux contrôleurs antidopage et ne donnera pas des preuves supplémentaires que le système a changé, je ne serai pas convaincu.

Que pensez-vous de la feuille de route proposée par l’AMA pour que l’agence russe antidopage récupère son accréditation ?

Toute feuille de route doit d’abord comporter une punition appropriée aux erreurs du passé. Une suspension ferme et significative, pas une amende.