L’herbicide phare de Monsanto, le Roundup . / CHARLES PLATIAU / REUTERS

« Des produits de jardinage plus naturels et respectueux de l’environnement » : Auchan a décidé, mercredi 15 novembre, de retirer de ses rayons les produits phytosanitaires contenant des molécules de synthèse, dont le glyphosate. C’est « le premier distributeur alimentaire », selon le communiqué de l’enseigne, à devancer la loi Labbé, qui interdira leur utilisation par les particuliers au 1er janvier 2019.

Les collectivités ont déjà dû bannir ces produits depuis le 1er janvier 2017 dans les espaces ouverts au public. Mais certaines avaient devancé la loi de plusieurs années et mis en place d’autres méthodes de désherbage. Comment se sont-elles adaptées au « zéro phyto » ?

Economiser

A Versailles, par exemple, la municipalité a engagé l’arrêt de produits phytosanitaires dès 2009. « Nous sommes revenus à des méthodes ancestrales », souligne le maire de Versailles, François de Mazières. Les quatre-vingt-dix agents de la commune couvrent par exemple de copeaux de bois les plates-bandes pour éviter la pousse d’herbes adventices. Ils utilisent d’autres méthodes comme le regazonnement des trottoirs et des allées, le fleurissement avec des plantes vivaces peu gourmandes en eau, le désherbage thermique ou manuel. Récompensée par de nombreux prix environnementaux, la ville de 85 500 habitants s’enorgueillit notamment d’avoir le premier cimetière de France à avoir été labellisé par Ecojardin, celui des Gonards.

Versailles a économisé 25 500 euros par an depuis l’arrêt des produits phytosanitaires. La mairie en consommait 130 000 litres chaque année pour les espaces verts, la propreté et les terrains de sport, sans compter les produits destinés aux arbres. « Cette économie nous a permis d’embaucher des personnes en insertion, notamment en renfort d’avril à octobre », se félicite M. de Mazières. A budget constant, la ville a pu également financer des désherbeurs thermiques et multiplier par quatre le nombre de massifs fleuris.

« C’était d’abord une question de santé, en particulier pour le personnel et pour éviter la contamination des nappes phréatiques, souvent situées sous les cimetières », explique le maire. Le passage au « zéro phyto » s’est fait progressivement, pour se terminer par l’entretien des stades, « le plus compliqué à gérer » d’après l’élu.

Gérer différemment

La ville de Paris (2,2 millions d’habitants) a supprimé tous les herbicides à base de glyphosate en 2015. Pour la mairie, la décision fut plus compliquée à mettre en œuvre dans les cimetières que dans les parcs et jardins. « La topologie des cimetières demande beaucoup de travail de désherbage à la main, souligne Pénélope Komitès, adjointe aux espaces verts. Nous n’avons pas embauché plus d’agents, mais nous avons fait appel une ou deux fois par an à une entreprise extérieure, pour un grand nettoyage. »

Les produits les plus dangereux, dont l’atrazine, étaient déjà bannis des espaces verts depuis 1995. Mme Komitès, qui insiste sur l’évolution progressive vers une gestion écologique, énumère les nouvelles pratiques horticoles :

« Gestion différenciée, paillage biodégradable (qui empêche la lumière de passer et donc la photosynthèse), compostage, choix de plantes adaptées au sol et au climat mais qui ne sont pas invasives, désherbage manuel et mécanique, écopâturage, broyat d’élagage placé au pied des murs et dans les cheminements… »

La mairie a dû également « beaucoup communiquer », les six premiers mois, auprès des Parisiens qui ne comprenaient pas toujours la présence d’herbes hautes.

Informer les habitants

« C’est facile, lorsque les habitants sont informés », assure Daniel Cueff, maire de Langouët, petite commune bretillienne de 612 habitants entre Rennes et Saint-Malo. Le village a choisi de laisser des espaces en friche ou fauchés tardivement, 1 hectare au total sur le territoire de la commune, en plaçant des pancartes pédagogiques expliquant la démarche. Le nombre de ces espaces s’accroît chaque année, en fonction de « l’acceptabilité sociale ».

Dans une ferme à Cortrat, dans le Loiret, qui n'utilise pas de glyphosate. / CYRIL CHIGOT / DIVERGENCE POUR "LE MONDE"

Première décision de l’équipe municipale, élue en 1999 : jeter tous les produits phytosanitaires de la commune à la décharge. « Nous avons redécouvert la binette », raconte le maire. D’abord déçu, l’employé municipal qui rentrait d’une formation sur le bon usage du pulvérisateur s’est vite adapté. Il consacre par exemple une heure par semaine à désherber le cimetière, selon M. Cueff :

« Au final, il y passe moins de temps qu’avec des produits, car il n’a pas besoin de remplir les bidons, de s’équiper, de manier les engins… Sans compter que l’herbe repoussait malgré tout assez vite, par exemple le long des trottoirs, dans la terre charriée par l’écoulement d’eau. »

Lors des pics d’activité, ou pour des événements comme la Toussaint, la mairie fait appel à une entreprise extérieure, qui facture sa prestation 250 euros TTC. « Nous y avons recours environ cinq fois par an, et c’est moins cher que l’achat des produits phytosanitaires et du matériel de pulvérisation », assure M. Cueff.

Réinventer des outils

Dans les Côtes-d’Armor, à Bon-Repos-sur-Blavet, passée au « zéro phyto » en 2009, l’équipe technique a quant à elle décidé de reprendre et de transformer un outil ancien : la houe bineuse. Composée d’une roue à l’avant et d’une lame à l’arrière, à pousser, celle-ci passe sur les adventices — une plante qui pousse dans un endroit sans y avoir été intentionnellement semée — pour les couper. « Nous l’avons adaptée avec un vélo, pour nos allées gravillonnées et sablées, et sur notre tondeuse autoportée, en plus grand, pour passer dans les allées des cimetières notamment », explique Nicolas Delacotte, responsable des services techniques de cette commune nouvelle de 1 300 habitants.

Les agents passent par exemple une heure et demie à deux heures à deux dans chacun des quatre cimetières lors de la saison de pousse, de mars à octobre. « Physiquement, ce n’est pas trop difficile, assure M. Delacotte. C’était encore plus facile, bien sûr, de traiter avec du glyphosate : mais la méthode n’était pas radicale, les herbes repoussaient après un mois et demi à deux mois. Et le fait de ne plus être exposé aux produits chimiques n’a pas de prix pour notre santé. »