Un soldat devant une institution juive à Neuilly-sur-Seine, le 13 janvier 2015. / CHARLES PLATIAU / REUTERS

Deux semaines ! C’est le temps qu’il aura fallu à la loi qui a pris le relais de l’état d’urgence pour voir sa constitutionnalité attaquée. La Ligue des droits de l’homme (LDH) a saisi le Conseil d’Etat mercredi 15 novembre de quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) contre les principaux articles de la loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ». Emmanuel Macron, qui l’a promulguée le 30 octobre, alors que l’état d’urgence prenait fin le 1er novembre, n’avait pas répondu à l’appel de certains, dont l’ancien premier ministre Bernard Cazeneuve, de soumettre lui-même la loi aux gardiens de la Constitution.

Pour la Ligue des droits de l’homme, les articles 1er (sur les périmètres de protection), 2e (fermeture des lieux de culte), 3e (assignation à résidence et bracelet électronique) et 4e (perquisitions) du texte sont contraires à la Constitution car « ils sont directement inspirés des mécanismes particulièrement dérogatoires du régime de l’état d’urgence ». Or, remarque l’avocat de l’association Patrice Spinosi, ces mesures avaient été validées par le Conseil constitutionnel parce qu’elles ne pouvaient être prononcées « que lorsque l’état d’urgence a été déclaré ».

Le gouvernement a plaidé en faveur de ces dispositions plus encadrées et limitées dans le temps que sous l’état d’urgence et dont la mise en œuvre doit être strictement réservée à la lutte contre le terrorisme. Le texte a été voté à une très large majorité à l’Assemblée nationale comme au Sénat.

« De graves dérives »

L’analyse qu’en fait la LDH est diamétralement opposée, dénonçant en particulier l’insuffisance des garanties légales qui encadrent ces mécanismes. Alors que des libertés fondamentales, constitutionnellement protégées, sont en jeu, comme celle d’aller et venir, le droit au respect de la vie privée et de l’inviolabilité du domicile, la liberté religieuse ou la liberté d’expression, c’est à la loi de définir précisément les cas et circonstances où des entraves peuvent être justifiées au nom de la préservation de l’ordre public. « Le législateur a totalement manqué à son devoir d’encadrer le pouvoir d’appréciation de l’autorité administrative, souligne M. Spinosi, de sorte qu’il existe de graves risques de dérives et de détournement de pouvoir. »

Selon cette loi, les mesures de contrôle administratif et de surveillance (assignation dans une commune, pointage quotidien au commissariat, bracelet, etc.) peuvent être décidées par les préfets à l’encontre de « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité (…) et qui soit en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s’accompagne d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à des actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ».

Cette notion-clé de « raison sérieuse de penser », qui n’existe dans aucun texte pénal, avait été fortement critiquée par le Défenseur des droits dans son avis du 7 juillet sur le projet de loi. Il y voit le risque d’un mode de preuve dégradée empêchant à un particulier de savoir « de façon prévisible » le type de comportements visés et a dénoncé « une logique de suspicion ». De même, les notions de « thèses » ou d’« idéologie » auxquelles se réfère la loi sont « particulièrement floues et ne font l’objet d’aucune définition juridique précise », souligne l’avocat de la Ligue.

Article dénoncé comme « superfétatoire »

Au sujet des fermetures des lieux de culte, la loi ordinaire va même au-delà de l’état d’urgence, puisque le préfet pourra invoquer « les idées ou théories qui sont diffusées ». Des critères bien plus difficiles à établir que les « propos tenus » exigés par l’article 8 de la loi sur l’état d’urgence. En outre, la LDH s’inquiète des silences de la nouvelle loi sur les conditions de renouvellement d’une telle mesure, qui pourrait ainsi être indéfinie. Quant à l’article sur les perquisitions, il est dénoncé comme étant « superfétatoire » par rapport à ce que permet déjà le code de procédure pénale.

Dès lors que ces perquisitions seraient décidées par l’administration pour « lever le doute » sur une personne en l’absence d’élément factuel pouvant justifier une enquête judiciaire, la question se pose de savoir sur quelle base pourra se baser le juge des libertés et de la détention pour motiver sa décision d’autoriser ou non la mesure. Pour M. Spinosi, le risque est de se contenter de notes blanches, ces documents non datés et non sourcés des services de renseignement, plaçant ainsi le juge « dans l’impossibilité matérielle de vérifier le caractère justifié de la mesure ».

La dernière QPC porte sur les périmètres de protection que les préfets peuvent décider autour « d’un lieu ou d’un événement exposé à risque d’actes de terrorisme à raison de sa nature et de l’ampleur de sa fréquentation ». Le risque terroriste étant partout, les préfets pourraient décider de tels contrôles (fouilles de véhicule, palpation, etc.) en tout lieu et à tout moment, estime l’avocat de la LDH, évoquant le risque de « contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires ». « L’autorité judiciaire est totalement dépossédée de la compétence qui lui revient de principe », souligne-t-il.

Le Conseil d’Etat qui avait validé, sous quelques réserves, en juin, le projet de loi du gouvernement, va devoir se prononcer d’ici trois mois sur la transmission de ces quatre QPC au Conseil constitutionnel. Celui-ci disposera, à son tour, de trois mois pour y répondre. Ces questions sont soulevées à l’occasion d’une requête en annulation de la circulaire du ministre de l’intérieur prise le 31 octobre en application de la loi du 30 octobre.