LES CHOIX DE LA MATINALE

Sortie confidentielle pour l’un des plus beaux films de cet automne, l’excursion thaïlandaise du prodigieux Japonais Tomita ; sortie après les vacances pour ce qu’on peut offrir de meilleur aux enfants, signé Todd Haynes ; et deux versions tout à fait contradictoires du Mexique, l’une à la salsa Disney, l’autre au piment vert (piquant mais savoureux) de la musique de Chavela Vargas.

« Bangkok Nites » : dans les replis obscurs du marché des corps

Bangkok Nites Trailer | SGIFF 2016
Durée : 01:43

Narration trouée, broderies de moments faibles, nuées d’impressions disparates, pur ­ enchantement d’un geste qui devient signe, scènes sans résolution : Bangkok Nites, du Japonais Katsuya Tomita, se déploie comme une épopée du morcellement et de la désaffection, qui pourtant se recompose en une constellation d’une éblouissante évidence. Héritier de toute une poétique du cinéma asiatique, du Taïwanais Hou Hsiao-hsien au Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, le Japonais Katsuya Tomita, se distingue de ces modèles, en mettant cette manière au service d’une vision politique qui dépeint un univers où le sexe et les corps s’échangent entre pays, entre classes sociales.

Discothèques, bains, karaokés, atmosphère de plaisir et de prédation, exutoire et assommoir des hommes d’affaires nippons : une heure passe, électrique, languissante, à dépeindre ces paradis artificiels de la capitale thaïe. L’errance des deux personnages, Luck, prostituée qui fait vivre sa famille, et Osawa, Japonais exilé volontaire, les mène ensuite à la frontière du Laos, ouvrant le film sur les abîmes de l’histoire et de la modernité. Ce monde si lointain est bien le nôtre. Jacques Mandelbaum.

Film thaïlandais et japonais de Katsuya Tomita. Avec Subenja Pongkorn, Katsuya Tomita, Sunun Phuwiset, Chutlpha Promplang, Tanyarat Kongphu, Sarinya Yongsawat (3 h 03). Sur le Web : www.survivance.net/document/45/69/Bangkok-Nites

« Le Musée des merveilles » : enfances de l’art et des artistes

LE MUSEE DES MERVEILLES - Bande Annonce - VOST
Durée : 03:13

Découvert avec ravissement à Cannes, Le Musée des merveilles s’aventure dans le monde réel au lendemain des vacances scolaires, ce qui montre bien que son distributeur ne croit pas vraiment à sa nature de film pour enfants. Et pourtant, on ne pourrait rêver meilleur objectif de sortie. Les adultes jouiront de l’intelligence et de la culture de l’auteur, pendant que les enfants seront initiés avec douceur et brio aux fondements d’un art dont ils ne connaissent souvent que les manifestations les plus coûteuses et les moins subtiles. Pourquoi ne pas faire confiance à l’esprit d’aventure des plus jeunes spectateurs ? Ils sont tout à fait en mesure de mettre leurs pas dans ceux de deux héros qui vivent des histoires distinctes qui ne sont, au début du film, réunies que par de mystérieuses correspondances.

Deux enfants sourds, Ben et Rose, séparés par un demi-siècle : il vit en couleur au temps de Scorsese, elle grandit en noir et blanc sous Murnau. Ils sont obsédés par les images, fixes ou mouvantes, par ces sons qu’un accident ou la naissance ont mis hors de leur portée. Todd Haynes organise le va-et-vient entre les époques, recourt à tous les arts qui ont constitué le cinéma classique (le film a été tourné sur pellicule), offrant à la fois un mystère qui se résout à force de patience et de délicatesse et une formidable initiation à la création. Thomas Sotinel

Film américain de Todd Haynes. Avec Oakes Fegley, Millicent Simmonds, Jaden Michael, Julianne Moore (1 h 56). Sur le Web : www.metrofilms.com/films/wonderstruck et www.wonderstruckmovie.com

« Coco » : Pixar met la Toussaint à Noël

Coco - Bande-annonce officielle
Durée : 02:42

On retrouve dans Coco ce mélange de féerie et de morbidité, parfait alliage de la signature Pixar et de la recette Disney, dont cette habitude de parsemer le récit de chansons entêtantes. Le film suit les aventures d’un jeune garçon mexicain prénommé Miguel, dont le rêve le plus cher est de devenir musicien. Mais l’enfant est né dans une famille où la musique est bannie depuis qu’un ancêtre a abandonné femme et enfant pour se consacrer entièrement à sa carrière musicale. D’un tempérament obstiné, Miguel est pourtant résolu à prouver son talent le soir de la Fête des revenants. Décidé à voler la guitare qui trône au-dessus du tombeau d’une idole nationale, Ernesto de la Cruz, il se retrouve propulsé dans le monde des morts.

Ce récit aussi élaboré que labyrinthique rassemble toutes les humeurs et les motifs pixariens, avec, cette fois, un baroquisme narratif et visuel qui témoigne d’une liberté créative absolue. Sous ses atours carnavalesques et la figuration du monde des morts en univers splendide et chatoyant se dissimule un long voyage vers la mélancolie. Le folklore mexicain devient le moyen d’invoquer les disparus apparaissant sous la forme de squelettes parés de détails et d’accessoires qui les caractérisaient dans le monde des vivants. Murielle Joudet

Film d’animation américain de Lee Unkrich et Adrian Molina (1 h 40). Sortie le 29 novembre. En avant-première le 15 novembre au Grand Rex, 1, boulevard Poissonnière, Paris 2e. Sur le Web : disney.fr/films/coco et www.facebook.com/DisneyPixarFR

« Chavela Vargas » : la rebelle faite icône

CHAVELA VARGAS (Film Annonce)
Durée : 01:57

La trajectoire musicale de Chavela Vargas (Heredia, Costa Rica, 1919 ; Cuernavaca, Mexique, 2012) est étrangère au cinéma. Et pourtant la renommée de la chanteuse mexicaine (elle avait très tôt abandonné sa nationalité de naissance) doit tout au cinéma, et en particulier à l’un de ses auteurs majeurs, Pedro Almodovar.

Célébrité oubliée en son pays, Chavela Vargas se trouva illuminée d’une gloire presque planétaire (les Etats-Unis restèrent rétifs à son charme) au début des années 1990 par la grâce du goût très sûr et très extravagant de l’auteur de Femmes au bord de la crise de nerfs. Alors septuagénaire, la chanteuse put ainsi parcourir le monde jusqu’à sa mort, à 92 ans, obtenant, grâce à cette renommée internationale, la reconnaissance qui lui avait jusqu’alors échappé au Mexique. Elle remplit ­ Carnegie Hall et l’Olympia et – en affirmant publiquement son homosexualité à l’âge de 81 ans – devient une figure du mouvement homosexuel dans et hors de son pays.

Si l’on ajoute comme prologue à ce formidable second acte un récit des origines dans lequel apparaissent les grandes figures de l’art (Diego Rivera, Frida Kahlo) et de la littérature (Juan Rulfo) mexicains, on a la matière d’une histoire irrésistible. Les documentaristes américaines Catherine Gund et Daresha Kyi retracent méthodiquement ce parcours, donnant aux néophytes un aperçu étourdissant de l’univers mental et musical de Chavela Vargas. T. S.

Documentaire mexicain et américain de Catherine Gund et Daresha Kyi (1 h 33). Sur le Web : www.bodegafilms.com/film/chavela-vargas et www.facebook.com/chavelavargas.lefilm