Le président français, Emmanuel Macron, avec des habitants de la ville de Tourcoing, dans le Nord, le 14 novembre 2017. / FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Pas d’énième « plan Marshall » pour les banlieues. Emmanuel Macron s’est montré ferme dans son discours sur la politique de ville, mardi 14 novembre, à Tourcoing. Le chef de l’Etat s’est surtout contenté de rappeler des réformes déjà lancées, pour améliorer la sécurité au quotidien, lutter contre la radicalisation, l’enfermement des territoires ou encore réduire les discriminations.

Maître de conférences en science politique à l’université de Saint-Germain-en-Laye, Renaud Epstein revient sur le discours du chef de l’Etat, à la lumière des quarante années de politique de la ville menées en France.

L’approche d’Emmanuel Macron vous apparaît-elle nouvelle au regard des précédentes politiques de la ville ?

Mobilisation prioritaire des politiques de droit commun en faveur des quartiers, construction partenariale des projets avec les villes, expérimentation… Tout ceci n’est pas très nouveau. Le discours de la méthode s’inscrit dans le prolongement de celui de François Mitterrand à Bron en 1990, de Claude Bartolone à la fin des années 1990 ou de François Lamy en 2014.

Là où le discours d’Emmanuel Macron marque une nette évolution, c’est sur le plan de la participation. L’enjeu de mobilisation collective des habitants des quartiers populaires promue dans la loi Lamy disparaît. Il est remplacé par une célébration des initiatives et des réussites individuelles, qui fait l’impasse sur les mécanismes structurels à l’origine de l’exclusion sociale et politique dans ces quartiers. Mais c’est assez cohérent : dans les quartiers populaires comme ailleurs, la vision d’Emmanuel Macron privilégie les « premiers de cordée » pour tirer les autres vers le haut.

Pourquoi tient-il ce discours maintenant ?

Au cours de ces derniers mois, Emmanuel Macron et son gouvernement ont pris une série de décisions dont les effets sont très négatifs pour les quartiers populaires : réduction des APL compensée par les HLM, diminution du nombre de contrats aidés, restrictions budgétaires pour les collectivités et les services publics… Face aux réactions que cela a suscitées, la « séquence banlieue » – comme l’appellent les communicants – est d’abord une opération de communication destinée à montrer à l’opinion publique la sollicitude du gouvernement envers ces quartiers. Le président a multiplié les annonces témoignant de cette sollicitude, mais la plupart avaient déjà été annoncées : expérimentation des emplois francs, retour de l’Etat dans le financement de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU), mise en oeuvre d’une politique de sécurité quotidienne…

On est donc d’abord dans le registre de la communication. Mais il faut souligner que ce discours est, sur le fond, en rupture nette avec les discours de stigmatisation des quartiers populaires tenus au sommet de l’Etat ces deux dernières années sous Manuel Valls ou pendant le quinquennat Sarkozy. La parole publique peut avoir des effets, même si la politique publique ne suit pas.

Que retenez-vous de ses annonces ?

Si c’était le discours programmatique du président en matière de politique de la ville pour les cinq ans à venir, il n’y a pas grand-chose à en dire. S’agissant des mesures annoncées, il faudrait les examiner une à une, mais aucune ne me paraît de nature à changer la donne dans les quartiers populaires. Prenez, par exemple, la question policière. On annonce 10 000 créations de postes dans la police et la gendarmerie, qui bénéficieront en grande partie aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. Très bien… mais la question est surtout de savoir si la réforme opérée va permettre de transformer les modes d’intervention de la police dans ces quartiers, où la demande de sécurité n’est pas satisfaite par les forces de l’ordre, mais où l’intervention de ces dernières peut produire du désordre. Au-delà de la police, il faut toujours se souvenir que la politique de la ville, c’est moins de 1 % du budget de l’Etat. L’enjeu de cette politique, c’est surtout de transformer la manière, dont les 99 % restants fonctionnent.

Quelle serait alors la solution pour sortir les quartiers de leurs difficultés ?

Si l’on se situe dans la logique du discours de M. Macron, qui privilégie l’égalité des chances plutôt que la réduction des inégalités de situation, l’enjeu prioritaire devrait être de mettre en place une réelle politique de lutte contre les discriminations. Or, ce qu’il a annoncé aujourd’hui est très modeste. Ce n’est que la reprise de ce qui a déjà été fait par Myriam El Khomri : une opération de testing fondée sur l’envoi de CV à des grandes entreprises, aboutissant à la publication des résultats dans une logique de name and shame. Très bien, mais penser que la lutte contre les discriminations pourraient se limiter à cette seule entrée, c’est se mettre le doigt dans l’œil. Celle-ci se joue aussi dans les PME, dans le logement, dans les rapports à la police, à la justice, dans tous les champs de la vie sociale. Une nouvelle fois, ce qui est proposé pour combattre des discriminations qui gangrènent la société n’est vraiment pas à la hauteur du problème – faute d’instruments permettant de vérifier que l’égalité de traitement est une réalité.

Pourtant, des solutions existent. Regardons ce qu’ont mis en place par le passé des pays voisins comme la Grande-Bretagne ou plus lointains comme les Etats-Unis ou l’Afrique du Sud. Ces pays ne prétendent pas être color blind : ils n’ont pas peur d’utiliser des outils de suivi permettant de mesurer les discriminations et de sanctionner les organisations ou les acteurs qui en sont responsables. L’existence de statistiques ethno-raciales permet d’identifier des traitements discriminatoires, non seulement dans l’accès à l’emploi, à l’université ou dans le logement, mais aussi dans les parcours à l’intérieur de ces organisations, une fois la barrière d’entrée franchie. Et surtout, ces statistiques régulières permettent de suivre les améliorations là où, en France, on se contente de coups de sonde
ponctuels qui révèlent à chaque fois la persistance du problème.