Bernard Laporte et Guilhem Guirado, capitaine du XV de France, le 11 novembre 2017 à Saint-Denis. / FRANCK FIFE / AFP

Pour défendre la candidature de la France à l’organisation de la Coupe du monde 2023, Bernard Laporte attaque. Stratégie risquée. Depuis deux semaines, le président de la Fédération française de rugby (FFR) critique à tout-va la recommandation publique effectuée par la fédération internationale à destination des grands électeurs. Cet avis de World Rugby place l’Afrique du Sud en position de favorite (avec un taux de 78,97 % de satisfaction), devant la France (75,88 %) et l’Irlande (72,25 %).

Stratégie gagnante ? Réponse ce mercredi 15 novembre, jour d’élection : les fédérations nationales et régionales éliront le futur pays hôte, à la mi-journée, dans un palace londonien. Impossible de connaître avec exactitude les intentions de vote, mais l’Afrique du Sud disposerait d’une avance appréciable. Pour la France, l’objectif est d’empêcher une victoire sud-africaine à la majorité absolue dès le premier tour, puis de rassembler toutes les voix de l’hémisphère Nord au second.

Déjà des mois que Bernard Laporte démarche fédérations et confédérations. Le 31 octobre, à la publication de l’avis consultatif, il s’est d’abord dit « surpris, interpellé, secoué… un peu choqué aussi »: « On ne pensait pas être derrière l’Afrique du Sud en termes d’organisation de compétition. Football, handball, rugby : la France a démontré depuis plusieurs années qu’elle savait organiser des événements. » Puis il a tenu à « souligner les incohérences » de ce dossier de recommandations.

« Une certaine dose d’incompétence »

Tout comme leurs concurrents irlandais, les promoteurs de « France 2023 » ont fait savoir leur mécontentement par courrier. Une lettre datée du 3 février est partie à l’intention de World Rugby, la fédération internationale, ainsi que des votants. Bernard Laporte a aussi attaqué par voie de presse, notamment dans un entretien au quotidien britannique The Times : « Je ne doute pas de la bonne foi de ceux qui ont établi ce rapport, mais il y a eu une certaine dose d’incompétence. »

Le président de la FFR est colère. Sur la question des infrastructures, d’abord. Le rapport considère « que nos hôtels [français] sont moins bien qu’en Afrique du Sud, alors qu’on est le pays le plus visité au monde », déclare-t-il à l’AFP. Ce même rapport considère que « les stades sont moins bons qu’en Afrique du Sud, alors qu’ils sont neufs », relève-t-il également.

Le dirigeant cite aussi la question du dopage : la France a été classée derrière l’Afrique du Sud sur ce critère d’évaluation malgré, selon lui, une place de « leader dans le monde en matière de répression ». Evoquant une législation française particulièrement sévère, le rapport met en garde contre une possible judiciarisation des cas de dopage, au-delà des sanctions sportives qui seraient appliquées.

Autre motif d’emportement, de la part de Bernard Laporte : « Sur la sécurité, on est au même nombre de points [que l’Afrique du Sud et l’Irlande] alors qu’il y a 52 morts par jour en Afrique du Sud. C’est un truc de fou ! », s’emporte l’ancien entraîneur, reprenant une statistique de la police locale citée dans Midi olympique, le 3 novembre. Ce jour-là, le bihebdomadaire du rugby consacrait sa « une » aux problèmes d’insécurité dans la « nation arc-en-ciel » , titrant sur « Le Mondial de la peur ? »

Clip folklorique

Autant dire que la fédération internationale a peu apprécié les récriminations de la France et de l’Irlande. « En particulier » celles du camp français, comme elle l’a fait savoir dans un communiqué : « Même si des réactions de déception et de forte émotion peuvent se comprendre, […] ces commentaires sont à la fois dénués de fondement et erronés », a-t-elle assuré, tout en faisant valoir une « recommandation claire, complète et objective ».

World Rugby a apporté aux fédérations, vendredi 10 novembre, d’ultimes « clarifications » pour justifier ses notations selon les divers critères d’évaluation : « finances, commercial et engagements » ; « stades et villes d’accueil » ; « infrastructure du tournoi » ; « vision et concept » ; « tournoi, organisation et programme ». Des critères évalués sous le contrôle de l’agence anglaise The Sports Consultancy, censée assurer un processus « indépendant et transparent ».

« Le débat est clos », a tranché le président de World Rugby, l’Anglais Bill Beaumont, manière de couper court aux polémiques en attendant le vote de mercredi. Pour l’attribution des Coupes du monde 2015 (Angleterre) et 2019 (Japon), le vote avait toujours suivi l’avis consultatif. La FFR espère faire mentir la tradition. Surtout Bernard Laporte, élu à sa tête en décembre 2016.

L’ancien secrétaire d’Etat aux sports (2007-2009) du gouvernement Fillon a fait du dossier France 2023 un axe prioritaire. Une défaite affaiblirait encore davantage sa présidence, alors qu’il fait l’objet, depuis septembre, d’une enquête interne du ministère des sports pour soupçon de favoritisme envers le club de Montpellier. Ce qui ne l’a pas empêché de tenir le premier rôle – au milieu d’un échassier, d’une danseuse du Moulin-Rouge ou d’un garçon de café – dans le clip folklo-promotionnel de la candidature française.