Quinze jours. C’est le temps, très resserré, dont disposait la Fédération française de rugby (FFR). Quinze jours pour inverser la tendance face à l’Afrique du Sud. Quinze jours pour, finalement, remporter cette élection qui fait aujourd’hui de la France, mercredi 15 novembre à Londres, le futur pays hôte de la Coupe du monde 2023 de rugby. « Il y avait beaucoup de pression dans la salle, les cartes avaient été complètement redistribuées, on était dans le plus grand flou », résume l’ancien joueur Sébastien Chabal, ambassadeur de la candidature, sourire aussi long que la barbe.

A deux suffrages près, la France a failli l’emporter dès le premier tour à la majorité absolue : 18 voix pour elle, 13 pour l’Afrique du Sud, 8 pour l’Irlande. Avance décisive qui s’est renforcée au second tour : 24 voix françaises contre 15 voix sud-africaines. Avance surprenante, surtout, tant la « nation arc-en-ciel » semblait favorite voici encore deux semaines. Le 31 octobre, la direction de World Rugby, la Fédération internationale, rendait publique sa recommandation à destination des grands électeurs. Cet avis consultatif plaçait l’Afrique du Sud en tête (avec un taux de 78,97 % de satisfaction), devant la France (75,88 %) et l’Irlande (72,25 %).

L’affaire semblait mal embarquée : lors des précédentes attributions, les grands électeurs avaient à chaque fois suivi l’avis consultatif de la Fédération. Seulement voilà, la FFR a répliqué. En coulisses, par exemple : « On a analysé les recommandations, on a fait les courriers qu’il fallait », se félicite Bernard Laporte, président de la FFR, au centre d’un essaim de caméras, dans un salon du luxueux Royal Garden Hotel.

« On s’est battus comme des chiens »

Dès le 3 novembre, une lettre partait à l’intention de World Rugby, ainsi que des votants. L’objectif de la missive : reprendre les points du rapport défavorables à la France pour expliquer qu’« on est au contraire les meilleurs », selon Bernard Laporte. Le dirigeant mentionne, par exemple, « la qualité de nos stades », dont certains ont bénéficié de rénovations avant l’Euro 2016 de football.

Mais aussi la question du dopage, sur laquelle l’ancien secrétaire d’Etat aux sports du gouvernement Fillon présente la France comme « un pays leader ». Evoquant une législation française particulièrement sévère, le rapport mettait en garde contre une possible judiciarisation des cas de dopage, au-delà de sanctions sportives.

« On s’est battus pendant huit mois comme des chiens, ça a été difficile, vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point, savoure aujourd’hui Claude Atcher, directeur de la candidature France 2023, après avoir essuyé ses larmes. On a tenu jusqu’au bout. Jusqu’à cette nuit encore, on rencontrait des présidents pour les convaincre que notre dossier était le meilleur. »

Vice-président de la FFR et grand ami de Bernard Laporte, Serge Simon a lui aussi goûté le résultat du vote : « La reco [recommandation] avait jeté la confusion, beaucoup de gens ont pris cette reco pour la quasi-décision finale. On a essayé de gagner du terrain dans l’esprit des gens. » Dit autrement : « Amener un éclairage différent sur ces points-là, qui nous semblaient devoir mériter une autre notation que celle que nous avions reçue. »

L’ancien coéquipier de Bernard Laporte sous le maillot de Bègles-Bordeaux a remercié World Rugby pour avoir eu « l’intelligence d’ouvrir le débat » après la publication du rapport. Le propos est exprimé avec soulagement. Il fait résonner d’un autre écho toutes les récriminations prononcées au cours des deux précédentes semaines. Par voie de presse, Bernard Laporte critiquait World Rugby dans un entretien au quotidien britannique The Times : « Je ne doute pas de la bonne foi de ceux qui ont établi ce rapport, mais il y a eu une certaine dose d’incompétence. »

Les rôles sont inversés

Quitte, même, à attaquer la candidature sud-africaine dans un entretien à l’AFP : « Sur la sécurité, on est au même nombre de points [que l’Afrique du Sud et l’Irlande] alors qu’il y a 52 morts par jour en Afrique du Sud. C’est un truc de fou ! » Laporte reprenait alors à son compte une statistique citée dans Midi olympique, le 3 novembre. Ce jour-là, le bihebdomadaire du rugby consacrait sa « une » aux problèmes d’insécurité dans la « nation arc-en-ciel », titrant sur « Le Mondial de la peur ? »

Désormais, les rôles sont inversés. A l’annonce de la victoire française, c’est la Fédération sud-africaine de rugby (SARU) qui fait savoir son incompréhension, pour ne pas dire son irritation. Mark Alexander, son président, a visé implicitement les piques françaises de fin de campagne : « Nous, nous n’avons jamais attaqué nos adversaires. Ce n’est pas le cas de tout le monde »

Seconde salve de Jurie Roux, directeur général de la SARU, encore plus amer :

« World Rugby a mené un processus complet et transparent pendant quinze mois pour identifier le meilleur pays hôte, pour finir par devenir entièrement opaque seulement les deux semaines qui ont précédé l’élection. »

Interrogé en conférence de presse pour plus de précision, M. Roux est resté évasif.

Réponse de Bernard Laporte lorsque son tour est venu : « Chacun a le droit de s’exprimer comme il le souhaite. » Le président de la FFR peut souffler. Alors qu’il fait toujours l’objet d’une enquête interne du ministère des sports pour soupçon de favoritisme envers le club de Montpellier, cette victoire internationale fait oublier le temps d’une journée les affaires nationales qui le fragilisent depuis le mois d’août. Elu en décembre 2016 à la tête de la FFR, Bernard Laporte a repris ce dossier de candidature à la Coupe du monde lancé sous la mandature de son prédécesseur, Pierre Camou.