Christelle Enault

La métropolisation des grandes ­villes françaises donne de plus en plus de poids à quelques grands centres, capables d’attirer vers eux les ressources et les énergies ­humaines. Mais si elle acte un changement administratif, la création, depuis 2012, des métropoles n’a pas été synonyme d’un changement de perspective.

Diversité et complexité

Dans les métropoles de Lyon comme de Nice, pour ne citer que deux exemples, le maire de la plus grande municipalité est le président de la métropole. On se contente d’agrandir la ville-centre, d’en repousser le périmètre. Avantage réel : le nouvel ensemble se trouve dans une meilleure position pour la compétition nationale et internationale.

Les citoyens ne savent plus qui est responsable de quoi.

L’ensemble constitué correspond mieux à la réalité d’une population qui vit presque toujours à cheval sur plusieurs communes. Mais cela ne change en rien la nature des problèmes existants, et peut même les aggraver. Sur un territoire plus vaste, les inégalités sont souvent plus grandes, les disparités plus difficiles à compenser. Les citoyens ne savent plus qui est responsable de quoi. La simple coordination des services informatiques à toutes ces échelles peut prendre plusieurs années. Car toute extension ajoute de la diversité (espaces périurbains, voire ruraux), et donc de la complexité.

Dans ce nouveau contexte, les liens tissés ­entre une métropole, ses communes et ses territoires adjacents sont plus cruciaux que ­jamais. Toulouse apprend ainsi à négocier avec Fleurance, ex-zone rurale en crise du Gers. Bordeaux arrive à échanger avec Libourne, et s’y essaye même avec Marmande. C’est notre conception de l’espace qu’il nous faut revoir. Les cartes classiques des territoires, qui nous montrent les villes, les régions, les Etats et leurs frontières ne donnent qu’une vague idée de comment y vivent les humains. De nombreux géographes s’intéressent aujourd’hui à ce qui circule entre ces territoires, comme le faisait Jean-Christophe Victor dans « Le Dessous des cartes ». Ces nouvelles représentations ont été renforcées par des livres comme La Ville des flux, d’Olivier Mongin (Fayard, 2013), dont Erik Orsenna a écrit qu’il évoque à merveille « la course générale à la connexion ».

La stratégie des flux

La métropole de demain, c’est par conséquent celle qui sera branchée sur le plus de routes possible. Routes réelles et routes fluviales. Routes virtuelles, comme celles de la Toile. Routes mi-réelles mi-virtuelles, comme celles des affaires, celles de la finance. La ville ­moderne est une ville de flux : la force de ces courants l’emporte sur celle des lieux. Ce qui circule compte plus que ce qui ne bouge pas. Pour la comprendre, il faut changer de logiciel : ­accorder moins d’importance à l’esprit de ­clocher, et plus au son des cloches qui communiquent. Moins se concentrer sur la taille des ­aéroports que sur le nombre de villes auxquels ils nous permettent d’accéder par des vols ­directs (la variable qui compte le plus quand on veut mesurer leur impact sur le développement d’une agglomération).

La métropole de demain, c’est celle qui sera branchée sur le plus de routes possible.

Quand on procède ainsi, tout change. Bordeaux, par exemple, n’est plus tenu de compter seulement sur les ressources présentes sur son territoire. Elle peut puiser dans les atouts des autres villes auxquelles elle est ­connectée : son université a de multiples ­conventions et partenariats avec plus de 500 établissements en France, en Europe et même dans le monde. La Lyonnaise des eaux y a installé un de ses deux centres de R&D. Ubisoft, leader dans le domaine des jeux vidéo, est en train d’y créer un autre pôle européen à côté de ceux de Paris et Berlin.

C’est toute une stratégie possible qui émerge. Un territoire ne vit pas à une seule échelle : il faut l’appréhender à différents niveaux en même temps. Prendre en compte les déplacements pendulaires entre le domicile et le travail, l’acheminement des pièces ou des marchandises, les données transmises entre laboratoires de recherche répartis en différents points du ­territoire, sinon du globe.

Pour avoir une chance de rendre nos villes plus intelligentes, il faut commencer par les visualiser différemment. Et comme tout cela ne se fait pas en un jour, nous devons commencer par répondre à la question : jusqu’où ­devons-nous penser la ville différemment ? C’est notamment pour trouver des réponses à cette question que Le Monde organise ses Prix de l’innovation urbaine. Pour la troisième édition de ce concours, nous encourageons tous les porteurs de projets – associations, entreprises, collectivités, individus – à se porter candidats. Une manière, pour Le Monde, de faire émerger de nouvelles idées et solutions pour nos villes de demain.

Supplément coordonné par Jessica Gourdon.