Le gouverneur de Saint-Louis Aidara Niang, le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et l’ambassadeur de France au Sénégal, Christophe Bigot, à Saint-Louis, le 14 novembre 2017.

C’est l’annonce phare de la quatrième édition du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique. Ou, du moins, la plus concrète. Mardi 14 novembre, lors de son discours devant l’assemblée plénière composée de représentants militaires et politiques internationaux, Jean-Yves Le Drian, ministre français des affaires étrangères, a annoncé l’ouverture prochaine au Sénégal d’une école nationale de cybersécurité à vocation régionale.

« Il faut faire en sorte que la cybersécurité soit prise en compte par les autorités africaines, que cet enjeu soit parmi les priorités du futur, a soutenu le ministre durant son discours. C’est un espace sur lequel la souveraineté étatique doit pouvoir s’établir. » Le projet, dont l’annonce a été faite en parallèle aux discussions sur le renforcement de la nouvelle force conjointe du G5 Sahel, vise à développer, dans un avenir proche, les compétences des pays africains en matière de lutte contre la cybercriminalité et le cyberterrorisme, mais pas seulement.

« Cette école n’est pas qu’un projet de défense mais répondra aussi aux besoins de régulation économique dans l’espace numérique, confie une source haut placée au sein de la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), organe du Quai d’Orsay qui pilote ce projet. L’Afrique est en train d’effectuer des sauts technologiques plus rapides que l’Europe sans avoir tous les systèmes de protection nécessaires. Cet établissement permettra aux élites africaines de se prémunir contre leurs vulnérabilités informatiques. »

Une idée récente

Impulsée par la France mais portée par le Sénégal, l’idée de ce centre de formation n’a germé que très récemment. Elle a été soumise par Jean-Yves Le Drian au président sénégalais, Macky Sall, lundi 13 novembre, lors d’une rencontre en marge du forum. Peu de détails concernant le fonctionnement de cette école, ses capacités d’accueil ou son emplacement sont pour l’instant définis. « Une mission française viendra dans les prochaines semaines pour voir quelles sont les attentes des autorités sénégalaises, indique une source diplomatique française. On parlera de lieux, de matériel, d’experts mis à disposition et de rattachement administratif. Notre choix est que la structure soit interministérielle, donc éventuellement rattachée au premier ministre. »

Il est déjà certain que ce centre de formation appartiendra au réseau des Ecoles nationales à vocation régionale (ENVR), ces établissements de formation sécuritaire issus de partenariats entre la France et des Etats africains. Il en existe aujourd’hui quatorze dans dix pays différents, couvrant des domaines tels que le déminage, le maintien de l’ordre, la sécurité maritime et la protection civile. Deux ont été créées au Sénégal, l’une pour la formation de l’infanterie, à Thiès, et l’autre pour les officiers de gendarmerie, à Ouakam. Comme pour les autres établissements du réseau, l’école de cybersécurité devra respecter la règle suivante : 30 % d’étudiants nationaux et 70 % en provenance d’autres pays africains.

Si l’école s’adressera en priorité aux policiers et aux militaires, il est prévu qu’elle accepte aussi des candidatures civiles et tisse « des partenariats avec des entreprises et des universités françaises qui permettront des labellisations académiques tels des masters », confie une source du DCSD. Le ministre des affaires étrangères a d’ailleurs insisté, lors d’un déplacement à Saint-Louis, sur la nécessité de former des jeunes et pas uniquement des professionnels de la sécurité.

« Selon les besoins thématiques, les formations pourront aller de quinze jours à plusieurs mois », souligne une source diplomatique. Elles devront couvrir tous les champs de la cybersécurité : lutte contre le piratage informatique, surveillance d’Internet et des réseaux sociaux, mise en place de cyberpatrouilleurs et de réseaux étatiques sécurisés…

« Ce sera une école d’un genre nouveau, avance Jay Dharmadhikari, conseiller de Jean-Yves Le Drian. Son champ d’expertise pourrait être très large, allant de la gouvernance jusqu’à des aspects plus pratiques, voire opérationnels, et couvrant les besoins des décideurs publics comme privés. La souplesse d’organisation de ses cours devrait permettre de répondre aux besoins de formations d’un secteur où les connaissances évoluent très rapidement. »

Une plate-forme régionale

Plusieurs raisons expliquent le choix du Sénégal comme pays d’accueil. « Les Sénégalais possèdent des capacités numériques avancées et nous coopérons activement avec eux dans ce domaine, poursuit M. Dharmadhikari. En outre, le Sénégal organise chaque année les Security Days [sur la sécurité numérique en Afrique] avec des entreprises françaises, et le pays a adhéré à la convention de Budapest sur la cybercriminalité en 2016. »

La création de cette ENVR apparaît comme la suite logique des succès récents de la division spéciale de cybersécurité. Mise sur pied en six mois et opérationnelle depuis juillet, cette structure qui dépend de la direction de la police judiciaire sénégalaise a déjà plusieurs faits d’armes. Elle a par exemple permis, ces dernières semaines, l’arrestation d’une quarantaine de hackers qui s’étaient introduits dans le système informatique de grandes entreprises sénégalaises pour détourner des sommes évaluées à plus de 100 000 euros. La France avait participé à la création de cette unité en fournissant 80 000 euros de matériel et en mettant à disposition un expert technique.

L’annonce de cette nouvelle ENVR arrive à point nommé pour Dakar, qui s’agaçait de l’absence du Sénégal dans la force conjointe du G5 Sahel. L’école permettra aussi de conforter le pays dans son rôle de plate-forme régionale dans les domaines de l’éducation et de la défense, alors que d’importants moyens ont été investis dans la ville nouvelle de Diamniadio, projet du « Grand Dakar » qui comportera notamment un campus franco-sénégalais.

Avant de voir les portes de cette école de cybersécurité s’ouvrir, il faudra patienter entre un et trois ans. Prochaine étape au calendrier : la signature d’un accord bilatéral, au premier semestre 2018, qui permettra aux travaux de débuter.