Le chiffre sidère tant il est élevé. Selon un sondage effectué en ligne par l’institut Harris Interactive pour l’association L’Enfant bleu, auprès de 1 030 personnes représentatives, publié jeudi 16 novembre, 22 % des Français disent avoir été victimes de diverses formes graves de maltraitance pendant leur enfance. Par ce terme, l’enquête entend « le fait d’avoir été régulièrement victime de coups/menaces/insultes, absence de soins ou d’hygiène ou d’avoir été au moins une fois victime de viol ou d’agression sexuelle ».

Ce sont les agressions sexuelles qui sont de loin les plus nombreuses, puisque 16 % des sondés disent en avoir subi, contre 8 % des maltraitances psychologiques (menaces, insultes, humiliations), 5 % des maltraitances physiques (coups), et 3 % des négligences (absence de soins, hygiène). Plusieurs formes de maltraitance peuvent avoir lieu en même temps. Parmi les victimes de violences sexuelles, 72 % sont des femmes et 28 % des hommes.

« Des masses considérables de personnes sont concernées, commente Michel Martzloff, secrétaire général de l’association L’Enfant bleu. Est-ce que les pouvoirs publics ont pris la mesure du fléau auquel il faut s’attaquer ? Ce n’est pas certain. » Bien que ses conséquences soient lourdes pour l’avenir des personnes concernées, les chiffres sur la maltraitance subie par les mineurs sont rares. Ces derniers ne peuvent en effet être interrogés sans l’assentiment de leurs parents, ou une fois devenus adultes.

Prépondérance de l’entourage familial

Ce sondage confirme le fait que les enfants et les adolescents sont particulièrement concernés, en particulier par les violences sexuelles. Selon l’enquête « Virage » effectuée auprès d’environ 28 000 personnes, publiée en novembre 2016 par l’Institut national des études démographiques, les viols et tentatives de viol ont eu lieu pour 56 % des femmes et les trois quarts des hommes avant leurs 18 ans.

Les chiffres de cette nouvelle enquête pour le compte de L’Enfant bleu sont en augmentation par rapport à la précédente, réalisée en 2014, au cours de laquelle 14 % des personnes interrogées déclaraient avoir été victimes de maltraitances dans leur enfance. « Le contexte dans lequel a été menée l’étude influe probablement », commente Magalie Gérard, directrice adjointe du département « politique opinion » chez Harris Interactive.

Les questions ont été posées du 18 au 20 octobre, après la révélation des accusations de harcèlement contre le producteur américain Harvey Weinstein, en plein déferlement des témoignages sur les réseaux sociaux, sous la bannière #metoo, et dans les médias. « Tout ce qui remonte actuellement peut contribuer à modifier le regard, poursuit Mme Gérard. Chacun s’interroge sur ce qu’il a vécu. »

Les réponses confirment cependant la prépondérance de l’entourage familial parmi les auteurs de violences. Parmi les personnes se déclarant victimes, 27 % désignent un membre de leur propre famille, 41 % disent avoir été victimes à la fois au sein de la famille et d’une personne extérieure, et 32 % uniquement d’une personne extérieure.

Tabou persistant

L’autre enseignement de l’enquête est l’existence d’un tabou persistant sur le sujet. Parmi les victimes, 80 % n’en ont parlé à personne… Parmi celles qui en ont parlé, la moitié indique n’avoir pas été aidées (par un éloignement de l’auteur, la mise en place d’un suivi thérapeutique ou le recours à une procédure judiciaire, par exemple). « Dans l’écrasante majorité des cas, les victimes continuent à subir », relève M. Martzloff.

Les personnes interrogées, bien qu’elles considèrent la lutte contre la maltraitance des enfants comme prioritaire dans leur écrasante majorité (97 %), apparaissent très démunies quand elles sont confrontées au problème dans leur entourage. Selon l’enquête, plus d’un tiers des Français (36 %) estiment qu’il a existé au cours de ces dernières années un cas de maltraitance dans leur entourage, mais, parmi eux, seuls 9 % ont prévenu les services sociaux, 6 % la police, 5 % un professionnel de santé, et 3 % ont appelé le 119, numéro d’appel national pour l’enfance en danger.

Une proportion plus importante (27 %) en a parlé à d’autres adultes (famille, amis) pour essayer de trouver une solution, mais près d’un tiers n’a prévenu personne. Ces personnes n’avaient « pas de preuves » ou ont eu « peur de se tromper » (dans 40 % des cas). Le défaut d’information sur la maltraitance et sur les structures publiques qui la prennent en charge est flagrant, puisque 60 % des personnes interrogées ne connaissent pas le 119 ou ne voient pas de quoi il s’agit. La proportion atteint 90 % pour la Cellule de recueil des informations préoccupantes du département. Une situation contre laquelle L’Enfant bleu veut lutter en lançant prochainement un site accessible sur téléphone portable et géolocalisé, qui expliquera aux utilisateurs à qui s’adresser en cas de soupçon.