Son « assassinat » par la police et la découverte du texte de « revendication » qu’il portait à dessein dans sa poche devaient entraîner « un électrochoc psychologique » dans l’opinion. C’est raté. Abdelhakim Dekhar n’est pas mort et c’est lui qui comparaît à compter de vendredi 17 novembre devant la cour d’assises de Paris pour « tentatives d’assassinat » et « enlèvement et séquestration ».

Il y a quatre ans presque jour pour jour, le 15 novembre 2013 à 7 heures du matin, il pénétrait dans le hall de BFM-TV armé d’un fusil à pompe et menaçait les rares personnes présentes avant de s’enfuir en lançant : « La prochaine fois, je vous louperai pas. » Le 18 novembre, il s’introduisait au siège du journal Libération, tirait et blessait grièvement un photographe. Il réapparaissait une heure et demie plus tard devant la tour de la Société générale sur le parvis de la Défense où il tirait à nouveau – une fois en l’air, deux autres en direction de deux employées qui fumaient une cigarette devant l’entrée – avant de prendre en otage un automobiliste qui le déposait sur les Champs-Elysées.

Le 20 novembre 2013, sur les indications de l’ami qui l’avait accueilli à Paris, Abdelhakim Dekhar était retrouvé par les policiers à demi-conscient dans un parking de Bois-Colombes, allongé sur le siège arrière d’une voiture, des boîtes de médicaments vides à ses côtés. Il avait échoué à se suicider.

Haine à l’égard des journalistes

La révélation de l’identité du « tireur parisien » avait réveillé le souvenir de l’un des faits divers les plus marquants des années 1990, l’équipée sanglante de deux jeunes gens de 20 ans, proches des milieux autonomes, Florence Rey et Audry Maupin. Après avoir attaqué la préfourrière de Pantin pour voler les armes des gardiens, le couple s’était enfui dans Paris, tuant en trente minutes quatre personnes dont trois policiers avant qu’Audry Maupin ne soit abattu dans la fusillade.

De l’aveu même de Florence Rey, Abdelhakim Dekhar, alias « Toumi », qui fréquentait les mêmes milieux d’extrême gauche que son compagnon, était celui qui leur avait fourni un fusil à pompe et avait servi de « guetteur » devant la préfourrière. Condamné en 1998 à quatre ans d’emprisonnement pour association de malfaiteurs, Abdelhakim Dekhar avait ensuite rejoint Londres où il travaillait dans la restauration. Marié et père de deux enfants, il vivait depuis 2008 séparé de son épouse qui l’accusait de violences conjugales.

Devant le juge d’instruction, Abdelhakim Dekhar a nié avoir voulu tuer, tout en revendiquant un « acte politique » dont les motivations restent obscures. S’y mêlent la volonté d’« interpeller l’opinion publique sur les conditions des gens de [son] origine et la politique menée à leur encontre » ; la haine à l’égard des journalistes qualifiés d’« infâmes journaputes » – il précise avoir écarté de ses cibles le siège du Monde car « c’était petit et il y avait des femmes » et celui du Figaro car, « place de l’Opéra, il y a des masses de personnes » ; la dénonciation du « marché, par essence fasciste », des « bourgeois », des « faiseurs de pognon », du « complexe pénitentiaro-industriel français », et de « la gestion des banlieues », comparée à une « entreprise de déshumanisation, d’élimination soft de type génocide ».

Forte tendance à la mythomanie

Son objectif, a-t-il affirmé, était de se faire abattre par la police, – « ce que j’appelle, dans un jargon philosophique, un suicide altruiste », expliquait-il au juge qui n’a pas été convaincu et qui a considéré qu’il y avait bel et bien, dans ses actes, une intention homicide.

Les experts psychiatres qui l’avaient examiné lors de la première affaire – il a refusé de se prêter à une nouvelle expertise – relevaient chez Abdelhakim Dekhar une forte tendance à la mythomanie. Se comparant volontiers à Nelson Mandela, il se présentait alors comme « un agent de l’ombre, investi d’une mission politique déterminante au service de la cause démocratique algérienne ».

Florence Rey, qui s’est réinsérée après avoir purgé une peine de quinze ans de prison, a eu des mots plus cruels en apprenant son arrestation en 2013 : « J’ai souvent condamné et regretté les terribles événements du 4 octobre 1994, je m’étonne que ce sinistre personnage n’en ait pas lui aussi retiré les enseignements. »