Salim Lamrani, ici à la suite de Marcelo Bielsa, sert aussi d’intermédiaire entre les joueurs non hispanophones et leur entraîneur. / PHILIPPE HUGUEN / AFP

Il est sans doute l’homme le plus surqualifié de Ligue 1 : Salim Lamrani apparaît lors de chaque conférence de presse du LOSC (Lille Olympique sporting club) aux côtés de l’entraîneur Marcelo Bielsa pour traduire les propos du technicien argentin. Depuis la veille de l’ouverture de la saison face à Caen, au mois d’août, il assure la traduction des questions souvent insistantes des journalistes et des réponses parfois acerbes de l’entraîneur argentin. Le tout sans note, toujours, et avec une apparente complicité avec le coach.

Généralement calme et posé, le traducteur ne peut réprimer un sourire avant de développer une réponse cinglante de Bielsa, comme lors d’une conférence de presse houleuse le 20 septembre qui l’a vu traduire un long exposé de l’entraîneur sur son rapport à la presse. Au quotidien, Lamrani sert aussi d’intermédiaire entre Marcelo Bielsa et les joueurs non hispanophones de l’effectif.

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Durée : 12:31

Pourtant, Salim Lamrani n’est ni traducteur de métier ni homme de football. Universitaire, c’est un spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis, sujet sur lequel il a écrit de nombreux ouvrages, à commencer par sa thèse, soutenue en 2010 à la Sorbonne.

Parfaitement bilingue, ce fan de l’Olympique de Marseille a décidé de déserter pour un temps son poste de maître de conférences à l’université de la Réunion, pour travailler auprès de Marcelo Bielsa. Un entraîneur dont il vénère les propositions de jeu et le « comportement, basé sur un engagement total pour sa passion du football, une rectitude morale et une éthique à toute épreuve dans un monde perverti par l’argent et l’hypocrisie », comme il l’écrivait en 2016 dans un long texte lui étant consacré.

Il y a un an, Salim Lamrani était invité à l’Assemblée nationale par le groupe d’amitié France-Cuba pour présenter son dernier ouvrage Fidel Castro, héros des déshérités (Estrella, 2016), un hommage au « Lider Maximo ». « C’est un garçon très sympathique, très ouvert, décrit Jean-Pierre Bel, envoyé spécial du président François Hollande en Amérique latine. Il est en défense du bilan de Fidel Castro, il a ses positions un peu inconditionnelles qu’il exprime avec beaucoup de fougue et de jeunesse. »

Sphère conspirationniste

Le profil de Salim Lamrani n’interpelle pas seulement par son apparente surqualification. On trouve de nombreux textes du chercheur, très engagé, sur le site du Réseau Voltaire, « réseau de presse non alignée », qui relaie fréquemment des thèses conspirationnistes.

Créé par Thierry Meyssan, connu pour ses théories complotistes sur le 11 septembre 2001 ou les attentats de Charlie Hebdo, ce site héberge près de 200 articles de l’actuel traducteur du LOSC, principalement sur son sujet de prédilection, Cuba. Un rapprochement qui déçoit Jean-Pierre Bel : « Ce n’est pas parce que vous dénoncez le blocus américain sur Cuba que vous devez nier les réalités du monde. Je ne pouvais pas imaginer qu’on puisse aller jusqu’à se laisser amalgamer avec des gens qui ont une idéologie particulièrement nauséabonde. » Contacté, Salim Lamrani n’a pas souhaité répondre à nos questions, comme il le fait avec toutes les demandes médiatiques dans le cadre de son travail au LOSC. Il a toutefois tenu à préciser : « Le site a reproduit par le passé certains de mes articles, comme le font d’autres sites. Je n’ai jamais publié d’article exclusif pour le Réseau Voltaire. »

« Salim Lamrani écrit sur le Réseau Voltaire depuis 2005 et son dernier article date de 2014, observe Rudy Reichstadt, membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean- Jaures et rédacteur en chef du site Conspiracy Watch. C’est très difficile d’ignorer les thèses de Thierry Meyssan quand on écrit aussi longtemps sur ce site et qu’on est quelqu’un d’informé comme lui. »

En 2005, Lamrani avait animé une table ronde sur la fabrique du terrorisme international, avec une présentation intitulée « Un demi-siècle de terrorisme états-unien contre Cuba », à la conférence « Axis For Peace ». Organisée à Bruxelles par Thierry Meyssan, ce rendez-vous est décrit par Rudy Reichstadt comme « un Who’s who des auteurs conspirationnistes les plus en vue de l’époque ».

Admirateur de Bielsa

On trouve également une production abondante de Salim Lamrani sur le site Palestine-solidarité.org, « qui, comme son nom ne l’indique pas, a moins à voir avec la solidarité avec la Palestine qu’avec un antisionisme radical qui confine à l’antisémitisme et au complotisme », décrypte Rudy Reichstadt. Sur ce site, les écrits de Lamrani sur Cuba, Fidel Castro ou Che Guevara côtoient de longs articles élogieux consacrés à Marcelo Bielsa, qui analysent son passage à l’OM, sa transformation de la sélection chilienne mais également son approche intellectuelle du football.

C’est cette admiration pour Bielsa qui lui a permis de devenir un salarié du LOSC. Les deux hommes se sont rencontrés durant l’été en Amérique latine, où l’entraîneur s’est « pris d’affection pour lui », relate dans L’Equipe un proche, Bernard Castelin.

Pour Romain Laplanche, auteur d’une biographie de Marcelo Bielsa (Le Mystère Bielsa, Solar, 2017), « qu’il fasse appel à lui n’est pas étonnant. Le langage de Bielsa est très précis et posé, il est cultivé et a une rhétorique particulière. Je pense qu’il veut que cette rhétorique soit respectée. Quand Bielsa parle à la presse, il considère qu’il parle aux supporteurs à travers les médias, donc il veut que tout soit clair, que son discours ne soit pas dénaturé ». Une volonté sans doute renforcée par son passage à l’OM, lorsque sa pensée n’était qu’imparfaitement traduite par son interprète marseillais, Fabrice Olszewski.

Dans ses moments de doute dans le Nord, où son travail est mis en cause par une 19e place en Ligue 1, Marcelo Bielsa sait avoir à ses côtés un homme avec qui il pourra disserter à la fois de football et de la révolution cubaine, lui l’admirateur de Che Guevara.