La Maison française de Columbia, plus vieux bâtiment du campus actuel, hérité de l’asile de Blooming. / Pierre-Yves Anglès via Campus

Chroniques new-yorkaises. Diplômé de Sciences Po et étudiant en master de littérature à l’Ecole normale supérieure et à la Sorbonne, Pierre-Yves Anglès raconte son semestre d’échange à l’université de Columbia.

Avec plus de 27 000 Français à New York, je m’attendais bien à en trouver quelques-uns à Columbia. Je n’ai pas été déçu. Ce semestre, à l’exception de deux étudiants européens rattachés à la Sorbonne et à Sciences Po, il n’y a que des Français dans mon programme d’échange avec la Graduate School of Arts and Sciences – l’école qui rassemble les départements d’humanités littéraires au niveau master. On entend parler français sans peine sur le campus de Columbia. Il faut dire que parmi les 150 nationalités qui s’y côtoient, la France est le cinquième pays le plus représenté avec plus de 450 étudiants et universitaires, selon des chiffres de 2015.

C’est grâce à un programme d’échange avec la Sorbonne que je suis à Columbia, mais il existe de nombreux partenariats avec d’autres universités françaises, notamment Aix-Marseille et Montpellier. Columbia n’a pas moins de sept double diplômes avec Sciences Po. Franck, un ami à l’école des affaires internationales et publiques (SIPA), déjà passé par une année de master à Sciences Po, estime que ce double cursus lui apporte des méthodes et des préoccupations différentes, ainsi qu’une interaction avec des étudiants du monde entier, qui, à la différence des étudiants français de second cycle, ont souvent déjà eu une première expérience professionnelle. Martin, un autre étudiant de Sciences Po en double master avec Columbia, m’a décrit combien l’enseignement du journalisme différait aux Etats-Unis : l’attention portée à l’investigation et à la probité semble l’intéresser particulièrement.

Partenariats non désintéressés

Les partenariats vont de la licence jusqu’au doctorat, notamment grâce au programme Alliance conclu entre Columbia et Paris-I, Polytechnique et Sciences Po. « J’ai conscience que dans ma carrière, j’aurai toujours une attention et un attachement particuliers à Columbia et ce qu’on y fait », confie Camille, une amie qui en bénéficie pour sa thèse en histoire de l’art. Recevoir des doctorants, pour Columbia, c’est aussi asseoir sa présence sur la scène universitaire internationale.

Ces partenariats internationaux ne visent pas qu’à enrichir les parcours académiques ou promouvoir la recherche de manière désintéressée. Puisque la mondialisation n’ignore pas l’enseignement supérieur, les partenariats universitaires peuvent se révéler stratégiques. Dès 1964, Columbia a implanté des bureaux européens à Paris, pour assurer sa visibilité et négocier des programmes de coopération.

Quant à Sciences Po, à la fin des années 1990, avoir des partenaires de renom aux Etats-Unis devait lui « permettre d’exister partout », souligne Raphaëlle Bacqué dans son livre Richie (Grasset, 2015), dédié à l’ancien directeur de Sciences Po, Richard Descoings. Le ministre des affaires étrangères de l’époque, Hubert Védrine, chargea même le réseau diplomatique français de valoriser l’IEP parisien autant que possible, raconte le livre. Et c’est finalement avec l’aide de Lisa Anderson – directrice de l’école d’affaires internationales et publiques de Columbia – que Richard Descoings acheva d’implanter son établissement outre-Atlantique. Depuis, les étudiants de Sciences Po passent tous une année à l’étranger.

Une statue de Rodin et des sommités hexagonales

La présence française est inscrite sur le campus de Columbia. Personne ne peut manquer Le Penseur de Rodin qui trône devant le bâtiment de philosophie. Personne ne peut non plus ignorer l’architecture singulière du centre étudiant de l’université. Inauguré en 1999, il est l’œuvre de l’architecte franco-suisse Bernard Tschumi, qui a aussi été doyen de l’école d’architecture de Columbia. La France est le troisième pays pourvoyeur de professeurs étrangers à Columbia, après la Chine et l’Italie. Quelques sommités hexagonales se partagent ainsi l’affiche new-yorkaise, notamment Antoine Compagnon ou Etienne Balibar, dont je suis l’un des séminaires ce semestre.

Le département de français de l’université est très actif et contribue à animer la Maison française de Columbia – un autre bâtiment marquant du campus. Cette maison cossue est en effet le seul vestige de l’asile qui occupait précédemment l’emplacement de l’université. En s’inspirant des travaux de Foucault, on pourrait faire l’hypothèse que rapprocher l’asile de l’université reviendrait à en faire un lieu de contrôle politique et de production de normes sociales…

La Maison française de Columbia organise des cycles de projection, des conférences, des concerts ou des expositions, afin de promouvoir les cultures françaises et francophones, ainsi que les échanges intellectuels et artistiques avec les Etats-Unis. Depuis mon arrivée à la rentrée, y ont déjà été reçus Christine Angot, Michaëlle Jean – secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie –, Pierre Moscovici et les réalisateurs Olivier Babinet et Ruth Zylberman. Les invités qui ont marqué l’histoire du lieu sont aussi variés que Beauvoir et Sartre, Piaf et Shurik’n (IAM), ou plusieurs présidents de la République.

L’une des vingt-cinq copies du « Penseur » de Rodin qui existent dans le monde, devant le bâtiment de philosophie de Columbia. / Pierre-Yves Anglès via Campus

Comme sa directrice Shanny Peer me l’a confirmé, la Maison française coopère avec les services diplomatiques français et reçoit des fonds de l’ambassade, mais elle dépend exclusivement de Columbia, qui la finance à hauteur de 20 %. Le reste de l’organisation est financé par des dons privés et les revenus du capital accumulé au fil des décennies.

L’histoire de cette Maison mérite elle aussi d’être racontée. Elle a été créée en 1913, un an après son homologue allemande. Alors que la guerre menaçait et que les Etats-Unis étaient très germanophiles, avec une prééminence des philosophes et scientifiques allemands dans les universités, la France a jugé nécessaire d’être plus visible à New York. Il fallait s’assurer que les élites universitaires américaines, bien moins tenues à distance de la politique que les professeurs français, soient capables de soutenir une entrée en guerre des Etats-Unis aux côtés des alliés.

Un objectif atteint, puisque le président de Columbia Nicholas Butler a plaidé la cause française pendant toute la première guerre mondiale. Et que le maréchal Joffre devint docteur honorifique de Columbia lors d’une visite officielle en 1917. La petite histoire culturelle semble se lier soudainement à l’histoire militaire tonitruante. Je ne me lasse pas de découvrir ce que ce campus dit du passé alors qu’il s’évertue à imaginer l’avenir.